Cela fait plus de 10 ans que je suis enseignant-chercheur, avec comme statut celui de maître de conférences. J’ai été recruté au 1er septembre 2010 par ce qui était alors l’une des deux universités clermontoises, l’Université d’Auvergne. Au fil des années, les obligations nationales ont imposé une restructuration des universités à travers la France, entraînant à Clermont-Ferrand la fusion des deux universités, dont l’entité résultant est devenue l’Université Clermont Auvergne.
Pour être recruté maître de conférences, on doit être titulaire d’une thèse de doctorat (un diplôme universitaire bac+8), avoir obtenu la qualification dans une section disciplinaire (pour moi, la section 27), puis être classé premier au concours qu’une université propose pour un poste de maître de conférences. Ce poste est composé d’une affectation d’enseignement, et d’une affectation dans un laboratoire de recherche. J’ai pour ma part été recruté pour enseigner à l’IUT de Clermont, en particulier dans le département Gestion des Entreprises et Administrations (GEA), et dans un jeune laboratoire de recherche en science informatique pour la médecine, l’ISIT.
Les missions assurées par les enseignants-chercheurs
Quand on est maître de conférences, notre statut impose de devoir réaliser l’équivalent de 192 heures d’enseignement en travaux dirigés par an, ce qui correspond à environ la moitié du temps, si l’on considère que ces 192 heures face aux étudiants (voire plus si l’on donne des travaux pratiques) nécessitent beaucoup d’heures en plus, pour préparer les cours, préparer les examens, les surveiller, les corriger, accompagner les étudiants dans leur parcours universitaire, et participer à l’animation pédagogique de son département. De nombreux collègues prennent aussi des responsabilités pédagogiques, afin d’assurer le fonctionnement des départements, des formations, etc.
Ce statut implique également de passer l’autre moitié de ses 1607 heures par an à mener une activité de recherche, avec pour objectif principal retenu par l’employeur la publication d’articles scientifiques. Avec le temps, cette activité nécessite de passer de plus en plus de temps à construire des dossiers de candidature pour répondre à des appels à projets, afin de financer des postes de chercheurs temporaires (doctorants, post-doctorants), d’ingénieurs, mais aussi disposer des financements pour assurer l’équipement, les déplacements et les participations aux conférences nécessaire à cette activité de recherche.
Quand on obtient le financement de projets, il est ensuite nécessaire de passer du temps à recruter les candidats, à faire le suivi de leurs contrats, à les accompagner dans leurs activités de recherche, mais aussi à régulièrement rendre compte aux financeurs, parfois avec une fréquence très élevée. Il s’agit de tâches administratives qui peuvent être très consommatrices en temps.
Enfin, une mission de plus en plus souhaitée par nos financeurs et employeurs, mais rarement valorisée dans notre évaluation est la diffusion vers le grand public de ces activités de recherche, en d’autres termes de la vulgarisation.
L’une des conséquences de ces injonctions à assumer des missions aussi diverses est la pression sur les personnels, qui entraîne parfois un désengagement de certaines missions. Une mécanique classique, notamment dans les IUT, consiste à ne plus assurer sa mission de recherche pour pouvoir répondre aux besoins d’heures à assurer en enseignement, et de manière générale en accompagnement des étudiants. À titre personnel, je fais tout pour éviter cela, d’une part parce que je ne le souhaite pas, mais aussi parce que la mécanique financière associée à cela est une perte sèche pour l’université, qui paye alors au maître de conférence un salaire correspondant à un temps plein enseignement et recherche, salaire complété d’heures supplémentaires réalisées dans le temps normalement imparti à la recherche…
Des missions qui évoluent
Avec le désengagement régulier de l’état dans le financement des universités, les missions ont progressivement évolué. C’est quelque chose que j’ai pu régulièrement constater depuis 1999, date à laquelle j’ai commencé à fréquenter l’université comme étudiant. Je me souviens par exemple des discussions qui ont eu lieu au moment du passage de la loi LRU, qui a précipité les universités dans une concurrence fratricide pour l’accès aux financements, et plus récemment avec l’émergence des labels d’excellence (isite, idex, labex, …). Ces politiques ont poussé toutes les échelles de l’université dans un fonctionnement de mise en concurrence : concurrence de site, où chaque bassin tente de fédérer le maximum de structures supérieures pour pouvoir bénéficier des financements des ministères (les petites universités étant vouées à disparaître faute de moyens), concurrence entre laboratoires pour attirer les financements des collectivités locales, de l’état, de l’Europe, concurrence entre les formations, qui doivent toujours se battre pour exister, faute de financement suffisant assuré. Dans ce mécanisme, on ne donne qu’à ceux qui sont déjà. Difficile d’être un outsider. Pour maintenir un niveau d’activité, on doit constamment monter des dispositifs de plus en plus gros, sous peine de disparaître. On est bien loin de l’esprit du service public avec cette mise en concurrence globalisée, qui dissimule difficilement une réduction toujours plus importante des financements, malgré l’augmentation chaque année des fraîchement diplômés du baccalauréat. Et bien sûr, ce mécanisme maintient naturellement la ségrégation sociale, les publics défavorisés ne bénéficiant pas d’un accès aux universités réellement soutenues par l’état.
Difficile dans ce contexte de maintenir une activité dans l’esprit de service public et de missions de l’université, qui devrait être un lieu de partage des connaissances plutôt qu’une machine à produire des « ressources humaines ». En plus de cette concurrence constante, on constate en effet une injonction — notamment dans les petites universités — à dispenser un enseignement utilitariste pensé uniquement vers marché de l’emploi.
Mes activités d’enseignement
Au moment de la mise en place du Bachelor Universitaire de Technologie (BUT) en remplacement du DUT, il est temps pour moi de faire le point sur mes activités d’enseignement.
Comme je l’écrivais plus haut, j’ai été recruté comme maître de conférences en informatique dans un département de gestion des entreprises et administrations d’un Institut Universitaire de Technologie (IUT). Si lors de mon recrutement, je pensais y trouver l’espace pour exercer mon activité d’enseignement, j’ai très vite déchanté. J’ai bien sûr pu assumer l’enseignement orienté sur ma discipline, avec un module de bases de données, mais au delà de ça, on n’a pu me proposer que des modules de mathématiques et statistiques, que j’ai assumé au début, et les modules de bureautique pour lesquels je n’ai aucune compétence, car Microsoft Word n’est pas LaTeX, et Microsoft Excel n’est pas python. Comme je l’écrivais il y a peu sur twitter, ce n’est pas parce que ton métier est de concevoir des trottinettes électriques que tu seras légitime à enseigner la conduite automobile. Mes compétences se placent au niveau de la science informatique (section 27), et je ne me considère pas compétent ni légitime à enseigner l’usage d’outils tels que les Progiciels de Gestion Intégrés dont j’ignore totalement le fonctionnement et enjeux de gestion et d’administration.
Au fil des années, j’ai donc été sollicité dans différentes formations pour assumer des enseignements plus proches de mes sujets de compétence, et où il manquait des intervenants à l’université. J’ai ainsi pu assumer au fil du temps l’animation de modules d’algorithmique, de géométrie et de traitement d’images, de bases de données, ou encore de gestion de projets informatiques. Plus récemment, j’ai également complété ces interventions par l’animation d’un atelier du Service Université Culture sur l’audiodescription, une pratique peu répandue mais très recherchée. Je me sens aujourd’hui bien plus légitime à assurer ces enseignements dans des filières universitaires ou d’école d’ingénieur que d’assurer ceux en GEA.
Les évolutions des missions d’enseignement
Ces dernières années, plusieurs phénomènes annoncent des évolutions notables dans ces activités d’enseignement.
Tout d’abord, avec la réduction constante des moyens attribués à l’université pour qu’elle assure l’enseignement de chaque étudiant, et les décisions politiques qui entraînent une précarisation toujours plus importante des personnels enseignants, la tension est palpable dans les départements : manque d’heures de permanents pour assurer les enseignements, pression à assumer des heures supplémentaires en nombre déraisonnable, contrainte à assumer des missions administratives toujours plus importante, et sans compensation ou presque. Si l’on ajoute à cela la pression associée à une évaluation quadriennale, et une opinion publique qui n’apporte plus le même crédit à ces activités du supérieur, on peut comprendre que les collègues perdent progressivement toute motivation à un engagement fonctionnaire.
Ensuite, les réformes successives de l’enseignement secondaire, avec les nouvelles modalités d’évaluation par compétence, la mise en place du nouveau baccalauréat avec un choix précoce des disciplines principales, et le maquillage de cette précarité de moyens par une application Parcoursup au fonctionnement ubuesque annoncent un avenir très très incertain pour des filières comme le BUT GEA. En effet, contrairement aux autres départements de l’IUT plus orientés vers des compétences techniques bien ciblées, l’enseignement proposé en GEA est plutôt généraliste, préparant au monde de l’entreprise au sens large, sans que l’étudiant ne soit nécessairement intéressé et impliqué à l’apprentissage de savoir-faire spécifiques. Au fil des années et des échanges avec les étudiants, j’avais compris qu’une large majorité d’entre eux choisissaient ce département par défaut, parce qu’il était généraliste, et permettait de ne « perdre aucune matière » parmi celles enseignées au lycée. Exception faite de celles et ceux convaincus qu’ils sont intéressés par la paye, les ressources humaines ou la comptabilité, une écrasante majorité de ces jeunes choisissent GEA comme un moyen d’attendre d’être en âge de rentrer dans le milieu professionnel. Ils espèrent bien sûr trouver une voie qui les mènera à une situation financière confortable, mais n’ont pas spécialement de motivation à suivre les cours proposés (combien de fois ai-je entendu « mais monsieur, on n’a jamais vu ça avant », comme s’il ne s’agissait que de réchauffer encore et toujours les mêmes enseignements du secondaire).
Avec les changements notamment du nouveau bac, les choix de matières ayant déjà été faits au fil du lycée, la filière GEA perd son statut de continuité sans changement. Si l’on ajoute à ça les injonctions des rectorats à ce que les IUT intègrent de plus en plus de bacheliers des filières technologiques, aux capacités très réduites à s’intéresser aux notions théoriques, on annonce une filière GEA encore moins universitaire, toujours aussi peu technologique, et donc définitivement salle d’attente du monde du travail.
Mes activités de recherche
Après quelques années à tenter de trouver ma place dans un laboratoire de recherche en sciences informatiques pour la santé, j’ai rejoint en 2016 le LIMOS, laboratoire d’informatique du site clermontois.
Après quelques années à y chercher ma place, j’ai finalement développé ma propre activité de recherche sur les problématiques associées à l’espace urbain et à la déficience visuelle, en construisant l’écosystème Compas dont j’ai parlé dans une récente vidéo. En parallèle, j’ai développé avec plusieurs collègues un axe de recherche autour de la thématique de la santé connectée pour la sédentarité, l’occasion de tisser des liens avec plusieurs laboratoires et instituts locaux.
La page consacrée à aux collaborations sur mon site professionnel liste les différents projets dont j’ai obtenu le financement, soit en tant que porteur principal, soit en tant que représentant du LIMOS dans le projet. Difficile de percevoir pour qui n’est pas expert les défis que cela implique, avec des taux d’acceptation très faibles. À titre d’exemple, seuls 16% des projets présentés à l’appel à projet ANR blanc finissent par décrocher un financement.
Ces deux dernières années, les choses se passent plutôt bien pour moi, c’est ainsi plus d’un million d’euros que j’ai participé à ramener au LIMOS et à ses partenaires pour financer du matériel, du personnel, des déplacements, des publications, etc. Les choses se mettent doucement en place, les jeunes chercheurs rejoignent les deux projets compas et esanté-mobilité. Ces prochaines années seront l’occasion de nombreuses publications, et de communications de vulgarisation autour de ces projets. Quand les choses s’enchaînent ainsi, il est de plus en plus difficile de prendre du recul pour se rappeler que ce mode de fonctionnement de la recherche, avec mise en concurrence des chercheurs, n’est pas satisfaisante. On se prend au jeu des dossiers de candidature, en apprenant à présenter les choses « pour que ça passe », en racontant ce que les financeurs ont envie de lire, sans sacrifier dans ces propositions nos envies et sujets d’intérêts scientifiques.
Être enseignant-chercheur en temps de COVID
La pandémie et l’obligation de confinement qu’elle impose depuis plus d’un an a bien sûr changé les pratiques de ce métier. J’ai énormément enseigné à distance cette année, et j’ai essentiellement mené mes activités de recherche à distance. C’était déjà une pratique familière pour moi, car déjà avant le COVID j’aimais gagner du temps dans la journée en évitant des déplacements inutiles.
En recherche, nous avons collégialement pris cette habitude de communication à distance (visio, chats, etc), ce qui a contribué à souder des liens forts et quotidien au sein des équipes de recherche, qu’elles soient éloignées ou non. Ça a réellement été une très bonne année en recherche, car j’ai pu avancer sur plein de sujets, et j’ai pu prendre le temps d’échanger avec beaucoup de partenaires, tout en continuant de monter des projets pour obtenir de nouveaux financements.
En enseignement, j’ai ressenti de plus grandes frustrations des enseignants et des étudiants, certes à cause des conditions, mais aussi parce que le métier est complètement modifié par l’usage de ces techniques numériques, et que nous ne sommes pas tous à pied d’égalité face à ces pratiques. On espère bien sûr un prochain retour à la normale, mais je garderai tout de même en tête que l’enseignement à distance a permis des échanges parfois très riches avec certains étudiants, et qu’il pourra faire partie des outils à solliciter.