Il y a eu un bon paquet de discussions techniques à Utopie Sonore, notamment avec Serge aka Blast. L’une de nos discussions a porté sur la qualité des pré-ampli dans les appareils tels que le zoom H4n ou le Tascam DR40. Pour peu qu’on le couple avec un micro dynamique un peu vieux tel que le seinnheiser MD 21, on se retrouve très vite avec du souffle (aussi appelé bruit). Un léger parasite qui empêche d’entendre le silence, et qui nuit souvent à l’esthétique de la prise de son.
Parmi les pistes évoquées pendant nos discussions pour réduire ce souffle, deux semblaient intéressantes.
La stratégie du pré pré-ampli
La première consiste à utiliser un pré pré-ampli. Oui, ça fait bizarre comme ça, mais l’idée consiste à placer avant l’enregistreur un petit amplificateur tel que le FetHead Tritonaudio ou le Cloudlifter CL‑1, qui amplifient de 22dB le signal en utilisant l’alimentation fantôme de l’enregistreur, et semblent être très plats. l’idée est d’éviter de trop solliciter le pré-ampli en le laissant dans sa zone « de confort ». On rencontre sur internet quelques sites internet qui évoquent cette idée. Bon, mais c’est un petit investissement, alors n’y a‑t-il pas autre chose de plus simple à faire ?
La stratégie du ‑12dB
La description
Toujours d’après Serge, l’affichage des niveaux sur les enregistreurs numériques ne représente pas réellement le niveau tel qu’on l’entend en analogique (c’est-à-dire n’est pas un VU-mètre), mais serait plutôt un Quasi PPM, qui suivant les normes aurait l’équivalent du zéro analogique plus proche du niveau de test, c’est-à-dire aux alentours de ‑12dB (voire plus bas d’après Serge). Au delà de cette valeur, les pré-ampli de ces petits appareils seraient sur-exploités.
Une piste pour réduire le souffle serait donc de ne pas pousser l’enregistreur jusqu’à 0dB, mais plutôt de le faire plafonner à ‑12dB, tout en enregistrant avec une qualité numérique élevée (wav à 24 bits). Il suffirait ensuite d’utiliser une normalisation numérique afin de retrouver un niveau de voix correcte, sans pour autant perdre trop de détails. Pendant les discussions, on a tout de même évoqué le problème du casque de monitoring, qui devient quasiment inutilisable, car le son enregistré est très faible. Là encore, la suggestion serait d’utiliser un casque avec une faible impédance, comme un casque de smartphone…
Les tests
Je me suis dit que c’était quelque chose de facile à tester. Il suffit en effet de faire deux enregistrements distincts (l’un à 0dB, l’autre à ‑12dB), puis de comparer les deux. Dans l’idéal, on devrait enregistrer exactement la même chose pour faciliter la comparaison. Alors j’ai pris mon enregistreur et mon micro, je les ai installés face à une enceinte de monitoring, et j’ai joué deux fois de suite le même son…
J’ai alors récupéré les deux sons, puis je les ai normalisés, et j’ai ensuite écouté et regardé le spectre des deux enregistrements pour tenter de les différencier.
Spectres des enregistrements à comparer
Dans l’ordre : avec le pré-ampli à ‑2dB, avec le pré-ampli à ‑18dB
Les spectrogrammes ne permettent pas de différencier les deux enregistrements… Je mets ici aussi pour comparaison les deux fichiers (convertis en mp3) pour une comparaison à l’oreille :
À l’oreille aussi, il est difficile de distinguer les deux enregistrements. En conclusion, la différence entre les deux enregistrements n’a pas été perceptible dans mon cas de test. Peut-être est-ce dû au bruit ambiant (les enceintes ont un tout petit souffle). À réessayer dans d’autres conditions donc, peut-être avec une voix en direct…
Salut, c’est Serge.
Enregistrer les enceintes est un bon moyen de s’assurer que le même signal est envoyé dans les deux essais. A mon avis c’est effectivement la meilleure approche.
Le seul souci concerne les conditions d’enregistrement, étant donné qu’on va ici doubler l’enregistrement, doubler le fond d’air du studio, ajouter le bruit de fond de l’enceinte et à celà va s’ajouter l’export MP3 qui n’est pas neutre.
Dans ces conditions, et en prenant le cas le moins favorable (un silence entre deux phrases), on obtient un bruit de fond à ‑47dB, ce qui est correct sans être extraordinaire.
Et dans cet exemple, on ne sait pas séparer ce qui provient de l’enregistrement original, du bruit ajouté par l’enceinte, des conditions de réenregistrement et de l’export MP3 (quoiqu’ici, à 244 kbps, ça devrait être peu important).
Mais il faut aussi raison garder : à moins de vouloir enregistrer des fonds d’air ou des bruits très ténus, la seule chose qu’on veut, c’est un bon rapport signal bruit, c’est à dire dans lequel la voix se détache bien du bruit de fond, ce dernier étant, idéalement, inaudible si le niveau d’écoute est calé sur la voix.
Mais évidemment aussi, si on veut une analyse fiable, il faut tout de même définir un protocole qui élimine au maximum les perturbations externes, surtout si elles ajoutent au bruit de fond.
Pour ma part, je serai tenté de préparer le test suivant :
1- préparer un enregistrement qui débute par un signal génére par la station de travail audio numérique, par exemple un 1000 hertz à ‑3 dB (ou autre) – qu’on pourra utiliser pour caler le préampli sur le niveau requis – suivi de l’enregistrement de voix utilisé ici en exemple (sachant qu’idéalement, cet enregistrement devrait être fait dans des conditions optimales – conditions d’enregistrement, matériel utilisé, réglages, export non compressé,…) ; suivi de quelques secondes de silence absolu (obtenu en générant un silence sur la station de travail audionumerique)
2- préparer l’enregistreur, l’enceinte de diffusion, le micro à une distance fixe. Lancer le début de l’enregistrement pour caler le préampli assez haut, genre ‑3dB.
3- quand le préampli est réglé, remettre « la bande » au début et enregistrer toute la séquence sans faire de bruit. Au bout de la séquence, laisser tourner l’enregistrement et débrancher le micro afin d’avoir (c’est artificiel, mais ça devrait permettre d’avoir une idée du souffle interne) quelques secondes d’enregistrement à vide.
4- procéder ainsi en 16 et 24 bits et à, par exemple, ‑3 dB et ‑20 dB, ce qui devrait donner 4 enregistrements. Exporter en wav/aif.
5- pour la vérification, charger les 4 enregistrements sur sa station de travail audio numerique ; caler le son sur le 1000 hertz ; comparer auditivement si on perçoit une différence sur la voix. On peut aussi comparer l’enregistrement avec la bande originale.
6- pour une analyse plus fine, on peut, une fois les 4 enregistrements finement calés sur le 1000 hertz, comperer les plages de silence entre elles, autant les plages de silence « absolu » (sans aucun micro branché), que les plages relatives (envoi d’un silence théorique sur les enceintes qui, elles générent un peu de souffle), que les plages de silence piochées au milieu du texte lu, en essayant de repérer une plage entre deux phrases, sans respiration.
7- rien n’empêche non plus d’ajouter à ces tests un enregistrement réalisé avec un micro beaucoup plus sensible, afin de le comparer aux autres aussi.
Mais il ne faudra pas oublier qu’un micro, surtout un micro ancien, possède un niveau de bruit intrinsèque non négligeable et qui sera impossible à supprimer. Il conviendra donc de comparer en gardant tous ces éléments à l’esprit avant d’espérer en tirer une conclusion.
L’idée majeure de la réflexion que l’on se faisait pendant notre discussion lors des utopies sonores, c’est :
– quand on a un préampli un peu faiblard/ancien, il vaut mieux l’utiliser dans sa zone de confort plutôt que de le pousser dans le rouge. Dans ces conditions, moduler à ‑18 dB FS voire ‑20 dB FS ne peut qu’être bénéfique pour éviter de générer du bruit de fond supplémentaire par le préampli lui-même.
– Afin de ne pas perdre de définition en modulant « si bas », il convient d’enregistrer en 24 bits (144 dB de dynamique théorique) et non pas en 16 (96 dB de dynamique théorique), à chaque fois que c’est possible. (Si c’est pas possible, il faudra peut-être trouver le meilleur compromis entre ne pas trop pousser le préampli et perdre de la définition).
– Les enregistreurs « modernes » sont désormais dotés de préamplis de meilleure qualité dotés d’un niveau de bruit de plus en plus faible, et d’une réserve de gain de plus en plus grande. Toutes ces considérations deviennent, dès lors, moins fondamentales sur un Tascam ou un Zoom de dernière génération que sur un « vieux » zoom H4.
Mais bon, ça ne mange pas de pain et, si on n’a pas de soucis de monitoring au casque, il vaut toujours mieux moduler moins haut : ça permet de capturer sans risquer de saturer, et sans besoin de poser un limiteur, si le volume sonore augmentait soudain.
En tout cas, pour moi, désormais, c’est toujours en 24 bits à ‑18dB FS :D
Pour les références, je vous invite à visualiser :
– l’explication sur le QPPM par Florien Camerer (en anglais) https://www.youtube.com/watch?v=iuEtQqC-Sqo (à partir de 11:56 mais tout le reste est passionnant sur le loudness et l’EBU R128)
– un papier interessant sur les niveaux par Pierre Voyard : http://voyard.free.fr/textes_audio/modulation.htm
Have fun !
Merci Serge pour ces remarques complémentaires ! Je suis d’accord, beaucoup de choses sont perfectibles dans ce petit protocole expérimental. Et c’est bien amusant d’explorer ces questions de manière expérimentale ! Ce que je note, c’est que pour l’instant, même avec le wav, je ne distingue pas la différence entre les deux… Je ferai quelques essais en reportage, et on verra ce qui se passe !
Et sinon, depuis que j’ai changé le vieux câble tout rigide et bizarre qui allait avec la prise non standard de ce micro, j’ai perdu énormément de souffle. Comme quoi, bien préparer ses câbles, c’est aussi quelque chose d’important !
Un article (et des commentaires) intéressants sur la question, aujourd’hui dans l’audiofanzine :
http://fr.audiofanzine.com/prise-de-son-mixage/editorial/dossiers/les-niveaux-d-enregistrement.html