Les outils numériques peuvent-ils répondre de manière efficace aux besoins de communication des personnes qui n’ont pas accès à une communication verbale ?
Depuis quelques temps, je m’intéresse aux outils issus de réflexions sur la communication alternative et augmentée. Des moyens de continuer à s’exprimer quand on perd la parole. Cependant, la plupart de ces outils sont imaginés pour des utilisateurs voyants. Il faut donc réfléchir et adapter les choses pour les personnes en situation de déficience visuelle. C’est un cheminement logique qui prolonge ce que j’expérimente déjà sur le blog accessibilité, que je vous invite à consulter.
L’une des pistes les plus intéressante que nous avons explorées est l’utilisation de pictogrammes tactiles : de petits dessins en relief, fabriqués très simplement grâce à la technique du thermogonflage.
Mais l’autonomie de l’utilisateur n’est pas complète. Pourquoi ne pas coupler le concept avec un dispositif permettant de jouer des échantillons sonores ? On pourrait alors disposer d’un outil à la fois tactile, et qui « dit » à haute voix pour l’utilisateur.
Quelques solutions existantes
On trouve sur le marché des outils permettant une telle aide à la communication, sur lequel on pourrait placer des pictogrammes tactiles, mais ils sont très onéreux, leur prix s’élevant à plusieurs milliers d’euros. On trouve aussi des solutions très peu chères, mais dont la qualité de fabrication rend difficile l’usage, tant les boutons sont capricieux.
Utiliser un contrôleur midi
La première piste que j’expérimente depuis quelques temps utilise un contrôleur midi, un petit ordinateur et une petite enceinte.
D’un point de vue logiciel, il s’agit de suivre la piste que j’avais explorée récemment pour jouer des échantillons sonores : on prépare pour chaque touche un fichier son, où l’on a enregistré le message à diffuser, puis on associe à une note midi ce son, et le contrôleur est l’interface utilisateur.
Dans ce contexte, j’imaginerais utiliser un contrôleur de type launchpad, et coller sur chaque bouton un pictogramme. Ces interfaces permettant de prendre en compte l’intensité de pression, on pourrait même imaginer avoir une version chuchotée, une version prononcée normalement, et une version criée de chaque son.
Pour l’informatique, un mini ordinateur type raspberry pi, consommant peu, mais faisant tourner un système GNU/Linux semble être une bonne piste. On peut alors brancher une enceinte compacte pour la diffusion du son.
Le défaut de cette approche, c’est l’encombrement et la consommation électrique. On pourrait bien sûr concevoir une coque qui réunit les trois dispositifs (contrôleur, ordinateur et enceinte), mais il faudrait tout de même brancher l’appareil sur une prise électrique, ou travailler à l’intégration d’une batterie.
Au final, on se retrouverait à concevoir un dispositif complet, ce qui souvent est une approche plus coûteuse que de s’appuyer sur une solution matérielle grand public, et est souvent peu maintenable et reproductible. En réfléchissant un peu plus loin, j’ai imaginé une autre piste, celle de la tablette tactile.
Utiliser une tablette tactile
Une tablette tactile a cet avantage de disposer d’une face qui réagit au toucher, d’un ordinateur capable de réaliser tous les traitements désirés, d’un haut-parleur intégré, et a une bonne capacité d’autonomie électrique. On en trouve à des tarifs très raisonnables, parce qu’issus de fabrication en grande série pour le grand public. Ne peut-on pas l’adapter à nos besoins ?
Notons pour commencer que la tablette détecte le contact d’un doigt grâce à une technologie capacitive qui capte les variations électrostatiques induites par cette proximité. Si l’on place un papier entre l’écran et le doigt, la tablette est toujours capable de détecter la présence d’un doigt.
La difficulté qui persiste est la non matérialisation des boutons pour une personne en situation de déficience visuelle. Il faut donc proposer, à la manière de Claria vox, d’une grille physique permettant de retrouver la position de chacun des boutons.
La première idée que j’ai imaginée était l’utilisation d’une imprimante 3D pour fabriquer une coque en silicone, qui entourerait toute la tablette, et viendrait reproduire cette idée. Il suffirait alors de glisser la feuille thermogonflée entre l’écran et la coque.
Cependant, cette approche a le défaut de rendre difficile le changement des pictogrammes. Or, les tablettes ayant généralement une taille de 10 à 12 pouces en diagonale, on peut difficilement placer plus de 20 pictogrammes si on veut qu’ils soient lisibles au doigt. Après réflexion, il me semble plus facile d’imaginer un dispositif où l’on découpe dans un carton épais (ou du medium fin) une grille, sous laquelle on vient coller la feuille thermogonflée. En fixant sur le dessus de la tablette quelques plots de positionnement, on peut ainsi imaginer un dispositif facilement interchangeable.
D’un point de vue logiciel, plusieurs questions se posent, qu’il faudra un peu expérimenter : comment distinguer le geste de l’utilisateur qui explore le pictogramme pour l’identifier, du geste de l’utilisateur qui souhaite déclencher le son ? Une combinaison de conditions sur la durée et le déplacement pourrait fonctionner.
Une amélioration simple du dispositif pourrait consister à intégrer un petit tag NFC à chaque planche de pictogrammes, afin que la tablette détecte automatiquement celle qui vient d’être positionnée à sa surface.
Extensions possibles
Une fois imaginée cette interface par planches, on peut même imaginer d’autres utilisations que celles de la communication non verbale. Ainsi, on pourrait imaginer une interface simplifiée de lecture audio, pour que l’utilisateur devienne autonome dans son écoute d’histoires audio. On pourrait ainsi avoir une case lecture/pause, une case pour le volume qui intégrerait le glissé du doigt, et une case par type d’histoire, classée suivant les usages de l’utilisateur (par durée, par type, etc.).
Edit
Depuis la publication de cet article, j’ai échangé avec plusieurs personnes, qui ont amené à plusieurs suggestions intéressantes :
- Utiliser un outil d’imitation de voix type Real-Time Voice Cloning (qui ne marche pour l’instant qu’en anglais) pour que les boutons parlent avec la voix de l’utilisateur. Il faut pour cela avoir des enregistrements audio (plus ou moins longs suivant la technologie) pour obtenir quelque chose d’intéressant.
- Les capteurs NFC ont une position variable sur les tablettes, parfois au centre, parfois sur les bords, avec une portée de 2 à 3 cm. Il faudra donc faire attention à l’endroit où coller la puce NFC, mais leur taille réduite actuelle permet beaucoup de choses.
- Utiliser un simple tap pour lancer le son est sans doute une mauvaise piste, car il peut arriver que l’on explore un pictogramme en laissant le doigt statique. Pour cela, plusieurs approches : utiliser le double tap, ou remplacer le dispositif par des boutons qui s’enfoncent (avec un peu de mécanique, ou des matériaux souples), afin de distinguer toucher et appui.
- Le thermogonflage s’use assez vite. Il pourrait être intéressant d’utiliser un autre matériau, comme l’impression 3D souple, ou l’usinage de matière. Une autre piste pourrait être l’utilisation de vernis.
- Une solution alternative aux plots consiste à fabriquer un boîtier autour de la tablette, comme une boîte ouverte, sur laquelle la planche interchangeable viendrait se placer. Cela permet, à la manière d’une coque, d’avoir une protection pour la tablette. On peut imaginer une impression 3D, ou toute autre forme de fabrication.