Contenus audiovisuels pour penser la société

Depuis bien­tôt 15 ans je pra­tique la radio, à la fois au micro et comme audi­teur quo­ti­dien. Au fil du temps, j’ai mis en œuvre et appré­cié ses dif­fé­rentes formes : les émis­sions réa­li­sées en direct où la spon­ta­néi­té est plus ou moins maî­tri­sée mais où l’a­dré­na­line guide l’ac­tion, et les émis­sions pré­pa­rées dans un logi­ciel de mon­tage et ajus­tées à la mil­li­se­conde pour qu’elles res­semblent exac­te­ment à ce que l’on veut. Les émis­sions, pod­casts, docu­men­taires sonores sont par­fois pro­duites par des ama­teu­rices passionné·e·s, par­fois par des gens qui le font de manière sala­riée. On retrouve une grande diver­si­té de formes, de modes de dif­fu­sion, d’audiences.

Les conte­nus audio­vi­suels suivent aus­si les mêmes moda­li­tés de pro­duc­tion et dif­fu­sion : conte­nus ama­teur de grande qua­li­té ou pro­duits par des per­sonnes rému­né­rées pour cela, dif­fu­sion confi­den­tielle ou à grande écoute, formes d’une grande diver­si­té. L’une des pla­te­formes prin­ci­pales de dif­fu­sion à la demande des vidéos (comme pour­rait l’être par exemple les audio­blog d’arte radio pour les pod­casts) est incon­tes­ta­ble­ment You­Tube. Pour les émis­sions en direct, Twitch a émer­gé comme espace incon­tour­nable. Dans les deux cas, on constate que les pla­te­formes ont un pou­voir énorme sur l’o­rien­ta­tion des conte­nus, qu’ils contraignent notam­ment par leurs inten­tions com­mer­ciales de dif­fu­sion publi­ci­taire (le prin­ci­pal finan­ce­ment de You­tube). Il existe bien sûr des pla­te­formes alter­na­tives, comme le très décen­tra­li­sé peer­tube dont j’a­vais déjà par­lé il y a quelques années, ou encore les pla­te­formes de créa­teurs telle que Nebu­la aux États-Unis.

Je vous pro­pose aujourd’­hui de par­cou­rir quelques chaînes plus ou moins dif­fu­sées mais que je trouve toutes pas­sion­nantes pour réflé­chir à la poli­tique, la socio­lo­gie, l’his­toire ou encore la géographie.

Analyses politiques

Au delà des conte­nus qui suivent l’ac­tua­li­té au plus proche (Média­part, Blast, …), Il y a bien sûr les incon­tour­nables Bol­che­geek, et Osons Cau­ser qui pro­posent sou­vent un angle ori­gi­nal sur un sujet qui rai­sonne avec l’ac­tua­li­té, ou encore Defe­ka­tor, la chaîne qui « défèque sur les fakes » en pro­po­sant des réflexions et outils autour de la véri­fi­ca­tion des sources. Mais par­fois, il est inté­res­sant de suivre des pro­duc­teurs qui s’in­té­ressent aux réflexions poli­tiques de fond, pour venir éclai­rer cette actua­li­té sous un autre angle.

Capture d'écran d'une vidéo de Oui d'accord

Oui d’ac­cord pro­pose tous les un à deux mois une vidéo de fond sur un sujet à chaque fois pas­sion­nant, sour­cé de plein de réfé­rences en science poli­tique, socio­lo­gie, histoire.

On peut par exemple citer une vidéo sur les ori­gines colo­niales du fas­cisme, une petite his­toire des uni­ver­si­tés popu­laires, ou plus récem­ment un docu­men­taire sur la révo­lu­tion des Canuts de très grande qua­li­té. Le mon­tage donne une part belle aux sources visuelles, on plonge aus­si dans des réfé­rences poin­tues, tou­jours sour­cées et ana­ly­sées pour appuyer le propos.

Sor­tie d’u­sine pro­pose lui aus­si tous les deux mois envi­rons une vidéo de fond qui donne à voir avec un angle très enri­chis­sant cer­tains aspects de notre vie contem­po­raine : culture pop, poli­tique, indus­trie, rap­port au capitalisme…

Capture d'écran d'une vidéo de Sortie d'usine

Par­mi les vidéos récentes, on peut par exemple entendre avec « THIRD PLACE » : pour­quoi Star­bucks va CREVER com­ment le capi­ta­lisme avec ses chaînes comme Star­bucks ont peut-être pour un temps déci­mé les espaces de ren­contre tiers (ni foyer ni lieu de tra­vail). On pour­ra regar­der le funeste secret de l’in­dus­trie du dia­mant, qui raconte la manière de créer un mar­ché arti­fi­ciel, ou encore La méthode Mia­wa­ki et l’ef­fon­dre­ment, qui raconte la génèse de cette méthode de crois­sance végé­tale, com­ment ce qu’elle annonce est en fait plu­tôt contestable.

Histoire, géographie

La vul­ga­ri­sa­tion en sciences humaines est plu­tôt bien pré­sente sur les pla­te­formes de vidéo, notam­ment en his­toire, ou on trouve les bien ins­tal­lés Nota Bene, l’his­toire nous le dira. Mais il existe un véri­table four­mille­ment de pro­duc­tions alter­na­tives, dont voi­ci une petite sélec­tion très personnelle.

Les revues du monde pro­pose ain­si du conte­nu his­to­rique, régu­liè­re­ment avec une lec­ture d’a­na­lyse poli­tique et sociale qui vient avan­ta­geu­se­ment cham­bou­ler cer­taines des idées reçues que l’on peut avoir sur les périodes pas­sées, et ain­si éclai­rer dif­fé­rem­ment notre lec­ture du quotidien.

En archéo­lo­gie, on peut pen­ser bien sûr à Pas­sé Sau­vage, qui pro­pose des séries super chouettes, récem­ment sur l’his­toire des peu­ple­ment des conti­nents, ou encore sur le sui­vi de chan­tiers d’ar­chéo­lo­gie. On peut aus­si suivre avec grand inté­rêt Bone­less Archéo­lo­gie, son humour déca­pant et son élé­gance distinguée.

La vul­ga­ri­sa­tion en géo­gra­phie, je trouve que c’est moins pré­sent en for­mat audio­vi­suel. Il existe bien sûr plein de conte­nu sur la géo­gra­phie phy­sique, sur des formes très variées, comme l’a­ty­pique Télé­Crayon, au for­mat des­si­né et au conte­nu très fac­tuel, quan­ti­ta­tif. Quand on s’é­loigne de la géo­gra­phie phy­sique, on trouve sur les chaînes publiques des choses comme l’é­mis­sion Le des­sous des cartes d’Arte, mais moins de conte­nu indépendant.

Par­mi les chaînes de qua­li­té, je pense tout de suite à Archi­pel, qui pro­pose un point de vue très riche sur notre pla­nète et ses habitant·e·s. C’est une chaîne très récente, mais qui a démar­ré dès le début avec un conte­nu de qualité.

Capture d'écran de la chaîne Archipe

On y trouve par exemple une vidéo sur les grands ensembles avec la leçon d’ur­ba­nisme des bar­bap­pa, ou encore une série cartes en main pour pro­po­ser quelques élé­ments de réflexion à l’oc­ca­sion des élec­tions pré­si­den­tielles de 2022. 

On peut bien sûr regar­der avec grand inté­rêt les vidéos de la chaîne Lin­guis­ti­cae, qui pro­pose une vul­ga­ri­sa­tion riche et mul­tiple struc­tu­rée par la lin­guis­tique certes, mais qui per­met de consi­dé­rer les ter­ri­toires et les his­toires des peuples d’une manière pas­sion­nante. On parle aus­si beau­coup d’ac­tua­li­té poli­tique sur cette chaîne ou sur la chaîne secon­daire de l’au­teur prin­ci­pal, car la lin­guis­tique y a tou­jours sa place.

Si comme moi vous êtes un gour­mand de car­to­gra­phie et d’é­tran­ge­tés géo­gra­phiques, vous aurez plai­sir à décou­vrir les deux chaînes sui­vantes, dont le conte­nu est en langue anglaise, mais qui n’en­lève rien à la qua­li­té de leur contenu.

Capture d'écran d'une vidéo de MapMen

La chaîne de Jay Fore­man héberge notam­ment la fabu­leuse série Map­Men, qui devrait être pro­je­tée à tout étu­diant qui pense que la car­to­gra­phie ou l’an­glais est triste et morne. 

The Tim Tra­vel­ler par­court l’Eu­rope (mais pas que) pour pro­po­ser dans cha­cune de ses vidéos une étran­ge­té locale : ligne de métro jamais mise en fonc­tion­ne­ment, enclave espa­gnole en France, un hôtel tra­ver­sé par une fron­tière,

Capture d'écran d'une vidéo de The Tim Traveller

En guise de tran­si­tion avec la sec­tion sui­vante, je vous pro­pose d’al­ler regar­der les vidéos pas­sion­nantes d’His­toire Appli­quée, qui s’in­té­resse à la ques­tion de la recons­ti­tu­tion, notam­ment dans les films d’é­poque. L’au­teur est poin­tu, pas­sion­né, et sa pra­tique de la recons­ti­tu­tion et du cos­tume d’é­poque per­met d’ap­pré­cier au plus près les défis et ques­tions que l’on se pose quand on fabrique des cos­tumes qui seront por­tés par des comé­diens, tout en étant le plus juste possible.

Cinéma et culture de l’image

Les conte­nus consa­crés au ciné­ma ou à la culture audio­vi­suelle sont légion sur les pla­te­formes audio­vi­suelles. Par­mi les for­mats et thé­ma­tiques inté­res­santes, je pense bien sûr à Cal­mos ou Chro­nik Fic­tion, aux for­mats super pro­duits, au mon­tage de grande qua­li­té, au conte­nu ryth­mé et déca­pant, qui pro­pose de se pro­me­ner dans la pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phique avec un fil conduc­teur tou­jours sur­pre­nant. Je pense aus­si au Fos­soyeur de Films, dont l’ex­per­tise amène à regar­der les films qu’il raconte autre­ment, ou à Mis­ter­fox, une pépite pour qui s’in­té­resse à l’u­ni­vers des comé­diens de doublage.

Bien sûr, on trouve aus­si des conte­nus qui com­binent regard de ciné­phile et ana­lyses politiques.

L’une des chaînes les plus exi­geantes sur la qua­li­té de son pro­pos, c’est bien sûr Ciné­ma et poli­tique, avec des vidéos comme une petite his­toire de la théo­rie fémi­niste au ciné­ma, ou encore les films de com­plot : Hol­ly­wood après JFK, en pas­sant par une série consa­crée aux films sur le travail.

Je pense aus­si à Vidéo­drome, qui pro­pose d’ex­plo­rer la thé­ma­tique des sciences sociales sous le prisme du ciné­ma. On y trouve par exemple une série de vidéos trai­tant des docu­men­taires sur le tra­vail, ou plus récem­ment une vidéo qui replace le cur­seur des idées à l’emporte-pièce sur les voleurs, fic­tions et réa­li­tés.

En fai­sant un pas de côté, et pour peu que l’on s’in­té­resse à la manière dont se construisent et se décons­truisent les pro­duit de l’in­dus­trie audio­vi­suelle sur inter­net, on pour­ra dévo­rer pro­duit inter­net : faut-il être riche pour être you­tu­beur ?, exploi­ter ses concur­rents pour des vues, ou encore la des­cente aux enfers inévi­table de la Ace Fami­ly, pour décou­vrir tout un pan des inter­net qui est l’é­qui­valent aux jeunes géné­ra­tions de ce qu’é­tait TF1 il y a 30 ans.

Intersectionnalité

Il me semble essen­tiel d’a­voir une oreille ten­due vers les per­sonnes subis­sant les dis­cri­mi­na­tions vio­lentes qu’im­pose la socié­té patriar­cale, blanche, vali­diste et hété­ro­nor­mée dans laquelle nous naviguons.

His­toires cré­pues est une chaîne qui pro­pose de s’in­té­res­ser aux His­toires colo­niales, avec une petite his­toire colo­niale du Front Popu­laire, ou qui ins­tru­men­ta­lise la lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme. Le for­mat est par­fois une pro­duc­tion en pla­teau avec invi­tés sur le Média, par­fois un conte­nu pro­duit par l’auteur.

Aux inter­sec­tions entre la ques­tion trans et le vali­disme, j’aime beau­coup regar­der ce que pro­pose Alis­tair, un conte­nu riche et com­plexe, dont la dimen­sion de vul­ga­ri­sa­tion s’af­fine au fil des ans.

On y trouve des vidéos très pra­tiques comme com­ment aider une per­sonne en fau­teuil dans la rue pour faire avan­cer concrè­te­ment l’an­ti­va­li­disme, ou encore choi­sir son fau­teuil rou­lant : trans­fert vs actif, qui peut aider à com­prendre bien des choses quand on a besoin d’un fau­teuil, mais aus­si un plus poli­tique pour­quoi l’é­tat devrail-il payer nos tran­si­tion ou 5 idées reçues sur l’AAH.

Je regrette aus­si la dis­pa­ri­tion de Niri­na, que j’a­vais décou­vert sur Twit­ter, et qui racon­tait ses décou­vertes et ana­lyses de jeune femme issue de l’im­mi­gra­tion et qui se frayait un che­min à Science Po, avec le choc de la culture de classes asso­ciée à sa trajectoire.

Regards sur la ville

J’au­rais pu clas­ser les conte­nus consa­crés à la ville avec ceux consa­crés à la géo­gra­phie, mais il s’a­git ici de vidéastes qui traitent de la ville à l’é­chelle des humains. Je pense en pre­mier lieu à deux chaînes consa­crées à l’architecture.

Le nou­veau pro­gramme est une chaîne qui parle d’ar­chi­tec­ture et d’ar­chi­tectes, qui replonge dans l’his­toire des grandes réa­li­sa­tions. On s’y inté­resse du point de vue artis­tique et tech­nique, de manière poin­tue et enthousiaste.

Les auteurs nous pro­posent des images ori­gi­nales, J’ai par exemple beau­coup aimé la vidéo consa­crée aux pis­cines tour­ne­sol, celle consa­crée au parc de la Vil­lette que je connais­sais mal, ou encore ce por­trait d’un immeuble-pont à Alger.

Je pense aus­si à Archi­tek­ton, qui traite la ques­tion de l’ar­chi­tec­ture un conte­nu plus poli­tique, avec un mon­tage dyna­mique et emprun­tant à de nom­breuses réfé­rences audio­vi­suelles pour illus­trer le propos.

On peut par exemple en apprendre plus au sujet du Crys­tal Palace de Londres, qui prend la forme d’un temple au capi­ta­lisme, ou celle consa­crée à la ques­tion de décons­truire l’ar­chi­tec­ture.

Enfin, d’une manière un peu dif­fé­rente, Altis play pro­pose de regar­der et com­prendre la ville depuis la selle d’un vélo. Acces­si­bi­li­té, mobi­li­tés, inter­ac­tions entre usa­gers, infra­struc­tures, tout est pas­sé au crible, d’a­bord à Paris, mais aus­si dans d’autres villes.

Altis play est par exemple reve­nu sur les cir­cons­tances de l’ac­ci­dent qui a eu lieu à la Rochelle, et qui a secoué la com­mu­nau­té des usa­gers du vélo. On regarde avec lui les infra­struc­tures, ses imper­fec­tions, et la manière de pos­si­ble­ment amé­lio­rer les choses. Il pro­pose aus­si de réflé­chir à des dis­po­si­tifs comme les sens inter­dits sauf vélo qui peuvent être consi­dé­rés comme dan­ge­reux, ou encore explore la ques­tion de la place pour toutes les mobi­li­tés dans la ville. 

Conclusion

Il y a bien sûr pleeeein d’autres conte­nus inté­res­sants, que l’on découvre sou­vent au hasard des clics, des dis­cus­sions ou des lec­tures. Je suis tou­jours curieux d’en décou­vrir plus, alors si vous avez des sug­ges­tions de vision­nages, ça m’intéresse !

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