Il y a deux ans, je donnais un aperçu des activités qu’assurent un enseignant-chercheur, en racontant comment ces missions avaient évolué avec le temps, éloignant de plus en plus ce quotidien de ce que j’ai envie de vivre. Alors bien sûr, la dimension recherche est passionnante, mais tout le reste devient trop coûteux.
J’ai donc choisi de prendre une année de disponibilité pour me consacrer un peu plus aux besoins grandissants de ma fille et pour faire une pause de cet environnement que je trouve de plus en plus toxique. J’en développe ci-dessous les motivations.
Les besoins d’une personne non autonome
Comme je le raconte depuis bientôt deux ans dans le podcast quand même pas, papa !, la maladie de ma fille progresse beaucoup ces derniers temps, et sans accompagnement de chaque instant, elle ne pourrait pas assurer sa survie. Je suis heureux d’être là pour elle, et de lui apporter, en plus du vital, les éléments qui font le bonheur de la vie. Ce printemps, la structure qui l’accueillait dans la journée est arrivée au bout de ses capacités d’adaptation, et a mis fin à cet accueil.
La moitié du temps ma fille est donc à la maison (l’autre moitié du temps, elle est chez sa maman), et même si on s’organise pour obtenir les aides dont elle peut bénéficier, j’ai envie et besoin d’être là pour elle.
Les aspects pratiques du métier d’enseignant-chercheur sont donc difficilement compatibles avec ces besoins grandissants :
- Les enseignements se passent à l’université, et sont répartis au fil de la semaine et au fil des mois de manière fragmentée. Impossible d’avoir un emploi du temps compatible avec les engagements à la maison auprès de ma fille.
- Les différentes urgences administratives qu’on nous impose, la préparation des cours, la correction des copies, tout cela implique de travailler régulièrement le soir et les week-ends, entraînant une grande fatigue physique, et là aussi se collisionnant aux engagements de proche aidant.
Il me fallait donc trouver une solution pour un engagement professionnel plus flexible et moins volumineux. Un temps partiel, avec des missions plus simples à assumer en parallèle de la proche aidance.
Avalanche de tâches administratives
Je l’avais déjà abordé dans le précédent article, mais les tâches administratives s’accumulent chaque année un peu plus sur les épaules des personnels enseignants-chercheurs de l’université, au point qu’elles finissent par devenir une grande partie du quotidien.
Pour donner un simple exemple, sur l’un des projets de recherche dans lequel je me suis un tout petit peu impliqué, on doit remplir chaque mois, à la demande du financeur, un tableau qui indique jour par jour les tâches que l’on a menées, qu’elles fassent partie du projet, ou que ce soient d’autres tâches, avec une phrase explicative pour chaque entrée correspondant au projet. Le tout sur un site internet pas du tout ergonomique, où il faut cliquer à la main pour donner chaque jour la répartition du temps de travail.
Et ça pourrait paraître anecdotique si ça n’était pas comme cela pour chacune des actions que l’on mène à l’université : pour chaque mission de recherche ou d’enseignement, de responsabilités, d’animation scientifique, de vulgarisation, on se retrouve à devoir produire des rapports, remplir des formulaires, valider une procédure, faire un appel d’offre ou obtenir 3 devis. C’est d’un fastidieux qui embourbe complètement toutes les activités, au point que mener sa propre activité de recherche devient un luxe qu’il faut payer en vampirisant du temps personnel.
Politique d’affectation des enseignements
Il y a deux ans, je racontais comment j’avais trouvé un intérêt aux missions d’enseignement en intervenant dans des formations assez diverses, et qui à chaque fois étaient d’un bien plus grand intérêt que l’affectation principale pour laquelle j’avais été recruté : enseigner l’informatique pour les étudiant·e·s en IUT Gestion des Entreprises et Administrations.
Cependant, à l’occasion d’un changement de direction à l’IUT et avec l’arrivée de règles de plus en plus précises imposées par l’université, on m’a demandé de ne plus m’engager autre part qu’en GEA, sauf en heures supplémentaires.
N’ayant pas le luxe de pouvoir me permettre d’heures supplémentaires, j’ai donc été contraint de chercher des remplaçants ou de fermer les cours que j’animais dans les autres formations, et d’assumer des heures d’enseignement en GEA sur des sujets loin de mes thématiques d’expertise. C’est ainsi que je me suis trouvé à enseigner les mathématiques à des jeunes gens complètement désintéressés des sciences, à passer des heures à expliquer comment additionner deux fractions, ou résoudre une équation du premier degré.
Je me suis donc retrouvé englué dans cette « formation », dont le rôle est plutôt d’assurer la salle d’attente entre le lycée et des emplois peu qualifiés du tertiaire, à accompagner des étudiant·e·s pour la majeure partie peu intéressé·e·s à leurs études, et souvent en grande difficulté scolaire. Un contexte où j’ai peiné deux ans à trouver l’épanouissement dont j’aurais eu besoin pour y maintenir un engagement durable.
Envies de changement
Ces différents éléments combinés m’ont poussé à envisager une voie hors de l’université. Nous, fonctionnaires, avons la chance de pouvoir solliciter une mise en disponibilité, permettant de quitter temporairement la fonction publique pour y revenir après un court temps au même poste.
C’est donc ce que j’ai choisi de faire, en assurant en même temps que je trouvais un nouvel employeur, pour y mener une activité plus proche de mes envies actuelles. C’est ainsi que je rejoins pour un an Logiroad, en tant que chercheur senior, où je pourrai exploiter au mieux l’expertise que j’ai construite au fil de mon début de carrière professionnelle : gestion de projets, recherche et développement en géométrie, en géomatique, en intelligence artificielle, avec une dimension open source et open data. J’envisage aussi d’y explorer la problématique de l’accessibilité, en adéquation avec les offres commerciales de l’entreprise, tout en y ajoutant le regard et les connaissances acquises ces dernières années.
Je suis heureux de commencer une nouvelle aventure, qui je l’espère évitera que je m’éparpille en autant de missions inutiles qu’à l’université.
Et puis à y réfléchir, les étudiant·e·s qui arrivent cette année à l’université ont l’âge de ma fille, et je me dis que le hasard fait bien les choses, car j’aurais je pense trouvé difficile d’enseigner à ces jeunes gens la journée, tout en m’occupant le reste du temps de cette jeune adulte qui se bat pour vivre avec cette maladie…