Produire du son pour la radio, c’est passionnant. Il y a plein de questions auxquelles il faut réfléchir, pour combiner les sources. La voix est bien sûr un élément essentiel, peut-être encore plus quand il s’agit de fiction.
Depuis quelques années, je m’intéresse beaucoup aux formes que peuvent prendre les voix dans un enregistrement : la voix du journaliste, de l’animateur, de l’intervieweur à la radio, la voix d’une audiodescription, la voix pour la fiction. La technique d’enregistrement est essentielle bien sûr — choix du micro, de l’environnement, distance au micro, diction — mais le mode de narration est aussi une question très intéressante.
Le livre audio
Le livre audio est issu d’une longue tradition de lecture à voix haute, tel que le rapporte Julie Gatineau en 2015 dans son mémoire de diplôme de conservatrice de bibliothèque intitulé le livre audio : quel destin pour un objet hybride en bibliothèque ?
Si les rares librairies sonores ont énormément de mal à survivre à la dématérialisation des supports audio, le nombre d’auditeurs est en nette augmentation, notamment avec l’émergence des dispositifs d’écoute itinérants (smartphones, autoradios lecteurs mp3, …).
Au delà des formes commerciales, notamment produites par Novaspot, il existe de nombreuses pratiques amateures, destinées à une distribution non commerciale. On peut penser aux productions des passionné·e·s de podcasts, mais aussi aux pratiques d’enregistrement de livres pour déficients visuels portées par des associations comme les donneurs de voix.
On peut aussi évoquer les formes non linéaires de narration, à la manière des livres dont vous êtes le héros de mon enfance, proposés par Lunii, qui ouvrent encore une autre forme d’écoute…
Le théâtre radiophonique
Une autre pratique historique et parallèle est celle du théâtre radiophonique. En France, ces productions sont ancrées dans une tradition de longue date, avec l’ORTF puis aujourd’hui Radio France, qui s’est adaptée au numérique en proposant une plateforme dédiée à la fiction sur son site internet.
Avec des adaptations récentes à grand budget, comme celles des aventures de Tintin, la radio nationale prend aussi le temps de raconter la manière dont ses personnels travaillent. Les making of sont très intéressants à explorer.
Les sagas MP3
Avec l’arrivée d’internet, de l’ordinateur personnel, et des solutions de MAO, on assiste à la démocratisation de la production de fiction audio, sous une forme amateure, pleine d’énergie, et qui démarrent avec le très connu Donjon de Naheulbeuk. Ce sont les saga MP3.
On trouve notamment une grosse communauté de réalisateurs et d’auditeurs sur le forum Netophonix. Leurs pratiques, au début marquées par les premières séries, se sont ensuite diversifiées, et l’on trouve aujourd’hui des formes très diverses.
On pourra d’ailleurs consulter le site de François TJP, pour une revue des fictions de référence.
Les formes de narration
On pourrait penser qu’il existe une certaine homogénéité dans les formes de narration pratiquées pour le livre audio, et la fiction en général. En vérité, il n’en est rien. Il existe de nombreuses manières de composer les choses, depuis la lecture monocorde jusqu’au théâtre radiophonique. Voici quelques-unes des pistes que l’on peut explorer quand on met en ondes un texte de fiction.
Mettre le ton
Tout d’abord, il y a le ton, ce qui permet à un lecteur de marquer la distinction entre un passage narratif et un dialogue, qui permet de rythmer les passages à suspense, ceux à surprise, les interrogations.
À une extrémité, on trouve les enregistrements destinés à l’audiodescription, quasiment neutres de toute intention, pour ne pas influencer l’auditeur.
Un peu plus loin, certains enregistrements sont très neutres, et l’on distingue juste les différents passages par des marques narratives, indiquées dans le texte. C’est souvent le cas des textes aux discours indirects.
Puis à l’autre extrémité, on trouve des textes très joués, presque interprétés, où la diction est même adaptée suivant le personnage, le débit évoluant, l’intensité aussi. Voix chuchotée, voix parlée, voix qui porte pour interpeller…
Entre les deux, on rencontre plein de pratiques, avec des dictions plus ou moins marquées d’une époque. Le ton peut être familier, ou au contraire assez ampoulé, le débit très lent… La diversité des styles rend l’expérience de l’écoute multiple.
On trouve aussi des formes d’écriture qui guident l’interprétation. Par exemple, quand le personnage s’adresse directement à l’auditeur, cassant le quatrième mur.
Interpréter les personnages
Parfois aussi, le narrateur donne un accent, une texture à la voix d’un personnage, une tessiture. La voix aura un son caverneux, une musicalité sifflante, fluette, ou encore nasillarde. Le personnage aura un ton mesquin, coquet, naïf, arrogant, …
La difficulté réside ici dans la capacité à tenir ces interprétation dans la longueur de l’enregistrement.
Utiliser plusieurs voix
Il arrive parfois que le texte utilise non pas une seule voix, mais plusieurs. Différentes distributions peuvent être rencontrées. On peut par exemple utiliser un narrateur, et une ou des voix différentes pour les dialogues.
Plus on s’approchera du théâtre radiophonique, et plus on aura une voix par personnage. Dans les deux extraits qui suivent, on peut apprécier la différence d’adaptation et d’interprétation à plus de 50 ans d’écart du même passage de la bande dessinée d’Hergé.
On peut aussi séparer la partie narrative en plusieurs voix. Par exemple, dans l’enregistrement de Fantastique Maître Renard édité chez Gallimard, Christine Delaroche et Daniel Prévost se partagent les personnages, ainsi que les parties narratives proches de leurs personnages, même si Daniel Prévost interprète la majeure partie des narrations. Christine Delaroche interprète majoritairement les personnages féminins et les enfants.
Si l’on avait laissé à Daniel Prévost le soin de toutes les parties narratives, on aurait eu très souvent un changement de voix, ce qui aurait rendu difficile la compréhension et le suivi du texte.
Les ambiances sonores
Les ambiances sonores peuvent parfois venir accompagner les voix pour rendre plus vivants les livres. C’est un parti pris souvent rencontré dans les livres audio pour enfants, ou lorsque la production est clairement destinée à une écoute radiophonique grand public.
Ces bruitages peuvent parfois être très légers, ils servent à rythmer un texte, à l’augmenter. On entendra une automobile démarrer, une porte claquer, un animal miauler…
En allant plus loin encore, tout un environnement peut être reconstitué, se rapprochant des pratiques du cinéma, même parfois augmentées de musiques (voir plus bas). C’est souvent le parti pris du théâtre radiophonique.
Les techniques d’enregistrement
La manière la plus courante d’enregistrer un livre audio est de placer un micro à courte de distance du narrateur, à la manière du voice-over. La voix est celle de la radio, l’auditeur ne perçoit pas l’espace d’enregistrement. On évite aussi les jeux de proximité. Le micro est rendu transparent, il s’agit d’une lecture.
Mais parfois, au contraire, on veut donner vie à la matière de la voix elle-même, dans un espace plus ou moins grand, plus ou moins traité acoustiquement, qui va résonner, être intérieur ou extérieur. Parfois les acteurs et actrices joueront avec le micro, s’éloigneront, se rapprocheront au contraire.
Plus on va dans cette direction, plus on s’approche d’une pratique de théâtre radiophonique.
Utiliser la musique
La musique en particulier, et les sons abstraits en général sont des éléments qui viennent facilement augmenter une narration. On peut rencontrer ces éléments sonore comme des marqueurs de fin de chapitre, ou de transition dans la narration.
On peut aussi utiliser la musique comme un moyen de soutenir la narration, pour amplifier ou faciliter la compréhension d’une situation, à la manière dont le cinéma le pratique : pour soutenir le suspense, augmenter un passage dramatique, etc.
On rencontre même des exemples où l’ambiance sonore est quasiment un tapis continu…
Ces éléments sonores musicaux peuvent prendre des formes de quasi bruitage, pour évoquer des événements de l’histoire.
Enfin, on trouve aussi les chansons comme éléments complémentaires à la narration, comme dans les comédies musicales.
Au delà de la fiction
Dans le documentaire aussi, on doit réfléchir à la voix. Même si ce n’est pas le sujet de cet article, j’avais tout de même envie d’évoquer quelques variations, depuis les interprétations très neutres jusqu’aux documentaires à sensation, en passant par les choses plus subtiles.
En particulier, j’aime énormément le ton qu’utilisait Jean-Christophe Victor dans le dessous des cartes.
Dans les formes plus marquées, on trouve le nouveau programme très réussie de France Inter à destination des enfants, Les Odyssées. Le ton, la musique, l’ambiance font un peu penser à ces documentaires américains comme les bâtisseurs de l’impossible, où tout est incroyable…
Dans un style très différent, on trouve aussi des poèmes composés musicalement, par Jacques Rebotier.
Remerciements
Je ne pouvais pas finir cet article sans un clin d’œil à Denis et Catherine de la compagnie du Chat noir, qui ont été pendant de nombreuses années nos dealers de quartiers du livre audio. Leurs conseils avisés ont été source de nombreuses joies, et le sont toujours…
Je remercie aussi Blast pour les compléments à la première version de cet article, qui m’ont permis d’ajouter des liens et informations sur les saga mp3.
Bonjour.
J’ai trouvé votre article extrêmement intéressant et bien détaillé.
Merci d’avoir pris le temps de réaliser ce descriptif d’un milieu encore trop méconnu malgré sa récente démocratisation.
Je suis moi même créateur d’une fiction sonore / saga MP3 (a cheval entre les deux ) qui se nomme » la traversée de Faëria ». Si le coeur vous en dit, n’hésitez pas à aller y jeter un oeil ( oui un oeil puisque c’est aussi un montage vidéo disponible sur Youtube à partir d’illustrations réalisées spécialement pour le projet )
Voici le lien :
https://youtube.com/playlist?list=PLRPiA_JV–XdLciDCf9HGafzdPcAWkuNV
N’hésitez pas à me faire un retour.
Et merci encore.
Paul Hourlier