Il y a quelques mois, je me suis équipé d’un couple de micros ORTF. Couplé à un enregistreur muni d’entrées XLR, ces micros permettent de faire des captations en stéréo de très bonne qualité. Le modèle que j’ai choisi, un Superlux S502 a l’avantage principal d’être nettement moins onéreux que la plupart de ses équivalents du marché. Il est fourni avec des petites bonnettes en mousse dites anti-pop, qui sont utiles quand on fait une prise de son en intérieur. Mais en extérieur, ou quand on déplace le micro, le déplacement de l’air sature immédiatement le micro.
Réalisation d’une bonnette anti-vent
Je me suis donc lancé dans la confection d’une bonnette anti-vent. Un petit tour chez un revendeur de tissu en gros, et j’ai mis la main sur une belle imitation fourrure, au poil long, et au tissu de support plutôt fin. Ensuite, il suffit d’une paire de ciseaux, d’une aiguille et de fil, et on fabrique facilement une chaussette pour son micro ! Alors bien sûr, on peut aller plus loin et confectionner une structure rigide autour des micros, mais je suis parti sur le principe plus simple d’ajouter la bonnette anti-vent par dessus la bonnette anti-pop. Reste tout de même une question : de combien le son est-il atténué avec cet assemblage de filtres ? Ne perd-t-on pas trop de fréquences ? Qu’en est-il du spectre ?
Je me suis donc lancé dans un petit atelier pour commencer à visualiser ça.
Mesures d’atténuation
Pour mesurer l’atténuation causée par l’utilisation successive des différentes bonnettes, l’idée est de générer du son qui s’exprime dans toutes les fréquences, puis de l’enregistrer avec les micros, dans chacune des configurations de bonnettes, puis d’utiliser un spectromètre pour visualiser la puissance du son dans chacune des fréquences qui le composent. Voilà en quelques étapes simples comment réaliser une telle mesure.
Produire du bruit blanc
Comme le raconte si bien wikipédia, le bruit blanc est « une réalisation d’un processus aléatoire dans lequel la densité spectrale de puissance est la même pour toutes les fréquences de la bande passante. » Pour faire simple, toutes les fréquences (du grave à l’aigu) sont présentes avec la même puissance. Certains utilisent ce bruit pour faciliter leur sommeil (cliquez sur ce lien, vous pourrez entendre du bruit blanc justement), d’autres s’en servent pour créer une texture à une réalisation sonore. J’ai donc repris mon logiciel de son favori et ai utilisé un plugin de génération de bruit blanc. On fait ici confiance à son auteur pour avoir produit un son qui respecte bien la contrainte souhaitée.
Évidemment, il faut que le système de diffusion du son de l’ordinateur ne coupe pas trop de fréquences, sinon on aurait déjà un spectre amoindri par endroits, et on raterai une bonne partie de l’expérience. L’idéal est donc d’utiliser des enceintes de monitoring. Ce sont ces enceintes que l’on utilise en studio, quand on fait de la création sonore par exemple. Suivant la documentation de la paire d’enceintes, on choisira de les positionner proche d’un mur ou non, et on respectera en général un angle de 45°, les enceintes visant les oreilles de l’auditeur, en un triangle quasiment équilatéral. Il existe beaucoup d’explications très complètes sur la manière de positionner de telles enceintes.
Capter le bruit blanc
Une fois les enceintes positionnées, on installe le micro de manière fixe à l’emplacement normalement dévolu à l’auditeur. On génère du bruit blanc avec l’ordinateur, via les enceintes de monitoring, et on réalise une captation de 10 à 15 secondes avec chacunes des configurations souhaitées. Dans mon cas, j’ai utilisé deux volumes sonores, et j’ai successivement utilisé les micros nus, les micros avec juste les bonnettes anti-pop, puis les micros avec bonnettes anti-pop et anti-vent. Pour identifier les fichiers, penser dans la première seconde de l’enregistrement à parler pour expliciter la prise (« son faible, micros nus »).
Pour faire ces enregistrements, j’ai utilisé un enregistreur tascam, sur lequel j’ai réglé l’enregistrement sur du wav 24 bit, afin d’avoir le moins de destruction possible lors de l’enregistrement. J’ai aussi vérifié que la puissance sonore ne saturait pas l’installation.
Préparer les fichiers son
Une fois récupérés les fichiers sur l’ordinateur, il s’agit d’extraire de chacun des fichiers une plage de son la plus pure possible, c’est-à-dire sans bruit parasite ni annonce parlée. Pour cela, j’ai utilisé le logiciel wavbreaker qui a le bon goût de couper les fichiers sans ne rien modifier d’autres (pas de ré-encodage, de ré-échantillonnage, etc.). Il existe d’autres outils, comme par exemple shntool, mais j’ai découvert pendant cet exercice que ce dernier ne supportait pas les fichiers wav autrement qu’en 16 bits (le format standard CD). Pour couronner le tout, l’interface graphique de wavbreaker est déroutante de simplicité.
Pour cet exercice, j’ai donc choisi d’extraire sur tous les enregistrements le passage situé entre la huitième et la treizième seconde. Ce sont maintenant ces morceaux propres que nous allons étudier.
Visualiser le spectre du son enregistré
La dernière étape consiste à visualiser le spectre de ces échantillons. Pour cela, j’ai utilisé le logiciel spek, qui fait les choses de manière efficace et simple : on lui donne un fichier en entrée, et il produit en sortie une image représentant un spectrogramme du fichier, où l’on lit sur l’axe horizontal la ligne du temps, sur l’axe vertical la fréquence observée, et par un jeu de couleur la puissance d’une fréquence à un instant donné. Le spectrogramme est accompagné sur le côté droit d’une échelle des couleurs indiquant l’atténuation en décibels, pour une lecture chiffrée du graphique.
Spectres obtenus une source sonore élevée
Dans l’ordre : micros nu, micros avec bonnette anti-pop seulement, micros avec bonnette anti-pop et bonnette anti-vent
Spectres obtenus une source sonore faible
Dans l’ordre : micros nu, micros avec bonnette anti-pop seulement, micros avec bonnette anti-pop et bonnette anti-vent
La première remarque que l’on peut faire, c’est que chacune des bonnettes atténue un peu plus le son. Mais ça, on s’en doutait. Si l’on regarde plus attentivement, on constate que ce sont d’abord les hautes fréquences qui sont atténuées. Du moins, c’est là que le contraste est notablement visible dans l’enregistrement avec la source sonore élevée. À l’inverse, en étudiant la série de spectres issues de l’enregistrement de faible volume sonore, on constate que l’ensemble du spectre est marqué par l’ajout de la bonnette anti-souffle. Cette baisse est bien plus importante qu’avec la simple bonnette anti-pop. C’est compréhensible : les bruits très peu forts seront étouffés par l’utilisation du double dispositif. Peut-être d’ailleurs l’atténuation apparente des hautes fréquences dans les cas de la source élevée est dûe à une atténuation uniforme qui serait plus visible là où le spectre montre une plus faible puissance…
Difficile d’aller plus loin que ces premières analyses sans utiliser plus de connaissances en traitement du signal. Si quelqu’un passe par ici et a quelques idées, je suis preneur ! J’ai bien sûr conservé les sons bruts…
Critiques et prochaines étapes
Plusieurs critiques sont tout de même à émettre dans ce protocole expérimental plus que bancal. Tout d’abord, il n’y a pas eu d’étalonnage de la source d’émission du bruit blanc. Difficile de savoir à quel point les enceintes restituent bien le son dans tout le spectre. Afin de compléter cette étude, il serait intéressant d’utiliser d’autres micros pour comparer le spectre d’émission de ces enceintes, voire utiliser un appareil de mesure plus précis…
On pourrait aussi s’intéresser à comparer le spectrogramme produit par les micros sans bonnettes aux courbes fournies par les spécifications du fabricant. Sommes-nous proches de ce qui est annoncé ?
Enfin, dans ce protocole expérimental, je n’ai fait varier que la puissance du son émis par les enceintes. On pourrait aussi moduler leur distance aux microphones pour étudier la variation du spectre suivant ce paramètre.
Tous les logiciels cités dans cet article sont des logiciels libres, notamment disponibles comme paquets dans la distribution debian.