Musique électronique

QBasic

J’ai très tôt été sen­si­bi­li­sé à la musique élec­tro­nique. Je pense au début grâce à Max, un ani­ma­teur sur Fun Radio qui dans les années 90 pro­po­sait la nuit un uni­vers éclec­tique, se pro­me­nant entre l’A­da­gio d’Al­bi­no­ni et la psy trance. C’é­tait l’é­poque de mes pre­miers CD, avec bien sûr l’in­con­tour­nable Home­work de Daft Punk. À la mai­son, on avait aus­si une K7 de Jean-Michel Jarre, sans doute Oxy­gene. Alors j’ai gran­dit avec dans les oreilles du son élec­tro­nique plu­tôt com­mer­cial certes, mais qui affûte l’o­reille. C’é­tait aus­si le moment où je décou­vrais l’in­for­ma­tique, avec quelques années de retard, bai­gnant dans les tech­no­lo­gies du début des années 90 et d’a­vant. Bidouiller, pro­gram­mer, créer avec un cla­vier. C’é­tait plus le gra­phisme des jeux que je créais qui acca­pa­raient mon inté­rêt, mais la puis­sance de ces outils fai­sait vrai­ment rêver.

Quand je suis arri­vé à Cler­mont-Fer­rand, j’ai décou­vert Space Plum­ber, le one-man band au doux son 8 bits, réhaus­sé d’un Thé­ré­mine.

space plumber

Waw ! Un ins­tru­ment élec­tro­nique datant des années 20, c’est pos­sible ! Décou­vrir ce son pro­duit élec­tro­ni­que­ment, qui fai­sait pen­ser à la scie musi­cale, avec ce glis­san­do par­fait, conti­nu, souple à l’in­fi­ni… Quelle décou­verte ! Et puis Fran­çois Arbon, le musi­cien de Space Plum­ber, fac­teur d’ins­tru­ments élec­tro­niques plus fous les uns que les autres, j’ai vu com­bien on pou­vait bidouiller pour pro­duire du son, tout comme j’a­vais bidouillé mes pre­miers pro­grammes dans les années 90.

theremine

Ces der­niers temps, quand Fran­çois a démar­ré avec Jim­my Vira­ni la for­ma­tion Four­rure, on a vu à Cler­mont-Fer­rand la pre­mière for­ma­tion de deux joueurs de thé­ré­mine, et l’ex­plo­ra­tion de sons assez pop, mais grat­tant tout de même vers l’ex­pé­ri­men­tal, avec l’élec­tri­fi­ca­tion de plu­sieurs ins­tru­ments acous­tiques tra­di­tion­nels. Quelque chose de vrai­ment inté­res­sant, à la fron­tière entre musique élec­tro­nique et acoustique.

De tout cet uni­vers de bidouilles, je connais­sais assez peu de choses. Pour moi, les syn­thés des groupes de pop-rock n’a­vaient rien à voir avec toute cette ébul­li­tion sonore. Et puis j’ai lu Les fous du son, que Laurent de Wilde vient de publier aux édi­tions Grasset.

Les fous du son sur un synthé d'enfant

Ça se lit comme un roman, avec des héros, des élé­ments per­tur­ba­teurs, des rebon­dis­se­ments, des tra­gé­dies et des bon­heurs. On est tenus en haleine du début à la fin, depuis les pre­mières décou­vertes d’E­di­son jus­qu’aux pré­mices de la musique infor­ma­tique. Pas­sion­nant, tré­pident, acces­sible au néo­phyte, et extrê­me­ment bien docu­men­té, pour ali­men­ter la curio­si­té des pas­sion­nés. Un très beau bou­quin, qui raconte com­ment des explo­ra­teurs, à la fois inven­teurs et musi­ciens, ont su explo­rer la fron­tière des pos­sibles, repous­sant les limites impo­sées par la tech­nique du moment pour en tirer de nou­veaux sons. On pense bien sûr au GRM, à des explo­ra­teurs comme Ber­nard Par­me­gia­ni (dont j’ai glou­ton­ne­ment uti­li­sé l’u­ni­vers sonore dans la pre­mière varia­tion d’Inter­face). On pense à toutes les pro­po­si­tions du fes­ti­val Musiques déme­su­rées, autour de la musique élec­tro-acous­tique… Toutes ces explo­ra­tions qui se placent dans la conti­nui­té directe des fous de son évo­qués dans le livre de Laurent de Wilde…

Mais ces sons com­plè­te­ment révo­lu­tion­naires ne res­tent pas can­ton­nés aux expres­sions musi­cales expé­ri­men­tales, et plus on avance dans les années 70 et 80, plus Laurent de Wilde cite les for­ma­tions de rock, pop, musique psy­ché­dé­liques qui incor­porent ces ins­tru­ments du futur dans leurs albums. On pense bien sûr à des pré­cur­seurs, comme Kraft­werk, mais aus­si les Pink Floyd, ou même Ste­vie Wonder !

Le livre se fini sur une belle ouver­ture, en rap­pe­lant que si la suite de l’a­ven­ture a été menée dans le monde de l’in­for­ma­tique avec la MAO, la ques­tion de l’in­ter­face entre l’ins­tru­ment et le musi­cien, véri­table quête menée autour de l’af­fran­chis­se­ment du cla­vier, est plus que jamais d’ac­tua­li­té : aucune alter­na­tive uni­ver­sel­le­ment adop­tée n’a été pro­po­sée pour inter­agir avec le son pro­duit par les machines du XXIe siècle…

La maison des feuilles

Il y a quelques temps, en me pro­me­nant sur l’in­ter­net, je suis tom­bé sur la des­crip­tion d’un livre qui a atti­ré mon atten­tion. Je l’ai vite trou­vé d’oc­ca­sion, et j’ai pris quelques semaines pour le lire. Il est tout sim­ple­ment génial ! La mai­son des feuilles, roman apa­thique par sa forme, est le pre­mier roman de Mark Z. Danielewski.

la maison des feuilles

La typo­gra­phie et la mise en page sont un des per­son­nages prin­ci­paux de ce roman ; la forme vient ren­for­cer, ali­men­ter, voire éclai­rer nombre de rebon­dis­se­ments de l’his­toire prin­ci­pale. Par sa forme d’é­cri­ture aus­si, ce roman est aty­pique. On ne suit pas une seule his­toire, mais un empi­le­ment de nar­ra­tions, qui s’empilent, pour com­men­ter et retra­cer un évé­ne­ment ini­tial sur­réa­liste : tout com­mence quand Will Navid­son décide avec sa famille de s’ins­tal­ler dans une mai­son pour ten­ter de sau­ver sa vie. Repor­ter incon­di­tion­nel, Will décide de fil­mer cette ins­tal­la­tion, mais très vite un élé­ment déclen­cheur vient per­tur­ber cette ins­tal­la­tion sereine. Une pièce appa­raît sou­dain dans la mai­son, qui devient plus grande à l’in­té­rieur qu’à l’ex­té­rieur.

Ce qu’on lit, ce n’est pas l’his­toire de Will Navid­son et de sa famille, mais l’a­na­lyse fil­mique de la série de docu­ments qu’en ont tiré les pro­ta­go­nistes de l’his­toire. Ana­lyse fil­mique rédi­gée par un cer­tain Zam­panò, et qui fait réfé­rence à de nom­breuses autres publi­ca­tions sur le sujet, qui par­sèment en réfé­rence le livre.

Et pour ajou­ter au mille-feuille de ce roman, on com­prends en lisant la mai­son des feuilles que l’a­na­lyse fil­mique de Zam­panò a été retrou­vée à l’é­tat de brouillon par John­ny Errand, un type à la vie chao­tique, qui entre­prend de finir de mettre en forme cette étude. Che­min fai­sant, il par­sème de notes l’é­crit ini­tial, retra­çant son enquête puis sa vie de junkie.

Le lec­teur, loin d’être per­du, se laisse gui­der à tra­vers ce dédale, décou­vrant petit à petit l’a­ven­ture incroya­ble­ment sur­réa­liste de Will Navid­son, et les errances de John­ny Errand. La lec­ture est gran­de­ment faci­li­tée par un jeu sur les polices de carac­tères et un énorme tra­vail de mise en page, les 700 pages du roman se par­cou­rant avec une très grande facilité.

Intri­guant, pas­sion­nant, drôle, élé­gant, per­tur­bant, voi­là un roman que je vous conseille !