Les jurys d’examens

Voi­là quelques mois que je n’ai rien écrit ici. Je voyais le temps filer, et impos­sible de m’ar­rê­ter sérieu­se­ment et suf­fi­sam­ment long­temps pour rédi­ger un billet sur ce blog. Main­te­nant que je com­mence à voir arri­ver les moments de répit (enfin les gens vont par­tir en vacances, on sera libre de tra­vailler sur les choses inté­res­santes sans être constam­ment inter­rom­pu par des futi­li­tés chro­no­phages), j’en pro­fite pour prendre mon clavier. 

Cette année, j’ai assis­té à plu­sieurs jurys, que ce soit à l’IUT où j’en­seigne, ou encore pour le bac­ca­lau­réat. En effet, comme wiki­pé­dia le dit si bien, le bac­ca­lau­réat en France est consi­dé­ré comme le pre­mier grade uni­ver­si­taire. C’est la rai­son pour laquelle l’É­tat réqui­si­tionne les ensei­gnants-cher­cheurs de l’U­ni­ver­si­té pour pré­si­der aux jurys de bac­ca­lau­réat. Et comme il s’a­git d’une tâche pas­sion­nante et fort inté­res­sante, on convie géné­ra­le­ment les recru­tés de l’an­née à aller faire un tour dans les lycées de la région.


Source : wiki­pé­dia

Le jury est l’as­sem­blée, regrou­pant géné­ra­le­ment les ensei­gnants ayant éva­lué les can­di­dats, ain­si que quelques per­sonnes exté­rieures (infir­mières, per­son­nels admi­nis­tra­tifs, pré­sident), dont la tâche consiste à attri­buer (ou non) les diplômes aux vues des notes obte­nues. Et puisque ce jury est le repré­sen­tant de l’É­tat, il est évident qu’il doit faire res­pec­ter le plus que faire se peut l’é­ga­li­té entre can­di­dats. On pour­rait donc s’at­tendre à ce qu’il res­pecte les notes que les cor­rec­teurs ont attri­bués aux copies. Or, il n’en est rien, et c’est ce que j’ai décou­vert avec stu­peur et incom­pré­hen­sion cette année.

J’a­vais bien sûr enten­du par­ler comme tous les étu­diants de ces « points de jury », qui servent à ajus­ter les notes. Je pen­sais que leur usage en était rai­son­né et excep­tion­nel. Or, de ce que j’ai pu consta­ter, il n’en est rien. Les jurys pra­tiquent le sport qui consiste à trou­ver toutes les rai­sons du monde pour remon­ter les notes des étu­diants. Ici parce que vrai­ment « il a fait des efforts », là parce que « quand même, il n’est pas aidé par son quo­ti­dien ». De prime abord, on pour­rait pen­ser que ces réajus­te­ments sont une bonne chose, tant pour l’é­tu­diant que pour la socié­té : on aide le plus de monde pos­sible à avoir son diplôme, même ceux pour qui c’est un peu juste, même ceux qui « se plan­te­raient au rat­tra­page, de toute façon ». On pour­rait voir ici la main de la jus­tice sociale, qui aide l’é­tu­diant tra­vaillant pour finan­cer ses études, qui tient compte du handicap.

Mais ça serait oublier qu’il existe déjà pour ces gens des ajus­te­ments, pré­vus par les lois et les règle­ments, qui en amont per­mettent à ces élèves et étu­diants de ne pas par­tir dému­nis face à leurs cama­rades à la vie plus confor­table. Ça serait oublier que l’i­dée même d’un diplôme, c’est d’é­va­luer des com­pé­tences ou des connais­sances. Or, si l’on com­mence à don­ner les diplômes parce que l’é­tu­diant est bien gen­til, on tend à déva­lo­ri­ser le diplôme, qui n’a plus alors le sens qu’il devrait avoir : cela signi­fie juste que la per­sonne a sui­vi la for­ma­tion, et non qu’elle a les capa­ci­tés que l’on éva­lue à la fin de l’année.

Alors bien sûr, je ne suis pas le pre­mier à crier que la licence ne vaut plus ce qu’elle valait avant, que mon petit mon­sieur, le bac ne vaut rien aujourd’­hui, que les pro­grammes ne font que se réduire à peau de cha­grin. Mais il est évident qu’un autre pro­blème réside en cette pra­tique de com­plai­sance des jurys : les étu­diants, qui savent per­ti­nem­ment que les pro­mo­tions pré­cé­dentes sont tou­jours pas­sées à plus de 80 % ne peuvent que trou­ver dif­fi­ci­le­ment l’éner­gie de se plier aux exer­cices de l’ap­pren­tis­sage, car même s’ils échouaient aux exa­mens, le jury serait tou­jours là comme filet pour récu­pé­rer les étour­dis… Et moins les étu­diants mettent de convic­tion à leurs études, plus les ensei­gnants se doivent de réduire le niveau de leur ensei­gne­ment, et l’on rentre ain­si dans la course à la médio­cri­té, où constam­ment l’on sup­prime des notions qui étaient néces­saires aux années suivantes.

En résu­mé, le rôle du jury, qui est de faire appli­quer les règles connues de tous et ser­vant à l’é­va­lua­tion, ce rôle est donc clai­re­ment détour­né, par­fois parce que les ensei­gnants ne savent pas être justes, sou­vent parce que l’on demande plus de chiffre, plus de ren­ta­bi­li­té à des orga­nismes qui sont deve­nus des entre­prises lucra­tives, et res­tent acces­soi­re­ment des lieux de trans­mis­sion de savoirs.

Et vous, ça vous plaît, l’enseignement ?