Deuil blanc

Les mala­dies neu­ro­dé­gé­né­ra­tives sont nom­breuses et diverses. Les plus connues sont pro­ba­ble­ment les mala­dies neu­ro­dé­gé­né­ra­tives liées à l’âge, comme la mala­die d’Alz­hei­mer ou la mala­die de Par­kin­son. Mais plein d’autres existent, comme par exemple la mala­die de Bat­ten, ou CLN3, une mala­die géné­tique lyso­so­male dont est por­teuse ma fille.

Le terme de deuil blanc est appa­ru il y a plus de 10 ans dans le contexte de la mala­die d’Alz­hei­mer. Il décrit le deuil que l’on res­sent lors­qu’une per­sonne atteinte d’un trouble cog­ni­tif n’a plus la même pré­sence men­tale ou affec­tive que par le pas­sé, bien qu’elle soit tou­jours pré­sente sur le plan physique.

Dans cet article, je vous raconte pour­quoi et com­ment j’en suis arri­vé à m’in­té­res­ser à cette notion, et je vous par­tage la syn­thèse biblio­gra­phique pro­duite par l’Équipe Relais Han­di­caps Rares AuRA, équipe que j’a­vais évo­qué dans ce blog, et dont je trouve le tra­vail for­mi­dable. Le docu­ment est consul­table en fin de page.

Une maladie dégénérative

Avec l’a­van­cée de la mala­die, les symp­tômes deviennent de plus en plus intenses, et les per­sonnes de l’en­tou­rage s’en­gagent dans un rôle de proche aidance. C’est ma tra­jec­toire depuis de nom­breuses années, et j’a­vais racon­té une par­tie de ce che­min dans un pod­cast, quand même pas Papa !. J’ai­me­rais trou­ver l’éner­gie et le temps de pour­suivre ce pod­cast, car les choses ont bien évo­lué depuis les der­niers épisodes.

Depuis le der­nier épi­sode de ce pod­cast, et au fil des années, ma fille a pu béné­fi­cier de nom­breux accom­pa­gne­ments pour com­pen­ser son han­di­cap crois­sant : fau­teuil rou­lant adap­té avec main­tien, lit médi­ca­li­sé, sonde enté­rale pour pour­suivre l’hy­dra­ta­tion et l’a­li­men­ta­tion, uti­li­sa­tion de pro­tec­tions contre l’in­con­ti­nence, d’une chaise de douche, ou encore d’aides humaines finan­cées par la MDPH.

Avec l’a­van­cée des symp­tômes phy­siques, les défis cog­ni­tifs et de com­mu­ni­ca­tion se sont inten­si­fiés. Nous abor­dions à ses côtés l’an­née 2025 en redou­blant d’as­tuces pour réus­sir à com­mu­ni­quer, grâce au seul mot dont elle dis­po­sait encore au quo­ti­dien : « oui ». Sui­vant son inten­si­té, sa fré­quence de répé­ti­tion, et les expres­sions du visage qui l’ac­com­pa­gnait, on arri­vait à trou­ver notre che­min dans tout ça, comme une équipe. Elle et nous sépa­rés par une paroi de plus en plus opaque, celui de la mala­die. Les hal­lu­ci­na­tions et épi­sodes de ter­reur ont aus­si été nom­breux, ren­dant sou­vent dif­fi­cile pour elle l’ac­cès à une par­ti­ci­pa­tion active à ces échanges.

Il y a plein de manières de vivre et de pen­ser cette mala­die et l’im­pact sur sa vie. Je l’ai tou­jours vue comme un filtre qui ren­dait de plus en plus dif­fi­cile l’ac­cès à la per­sonne qu’est ma fille.

Et puis nous avons la chance d’être super bien accom­pa­gnés par une équipe de soins pédia­triques pal­lia­tifs, avec qui nous tra­vaillons de concert pour trou­ver à chaque défi les solu­tions prag­ma­tiques et fonc­tion­nelles qui font que le quo­ti­dien se déroule le mieux pos­sible. Une équipe mobile de méde­cine phy­sique et de réadap­ta­tion nous accom­pagne aus­si pour adap­ter tous les dis­po­si­tifs d’aide maté­rielle. C’est une adap­ta­tion de chaque ins­tant, pour accom­pa­gner l’a­van­cée de la mala­die, ce qui n’est pas une mince affaire quand il faut jon­gler avec la len­teur des ser­vices admi­nis­tra­tifs du dépar­te­ment, mais aus­si parce que trou­ver les bons dis­po­si­tifs prend du temps. 

Et comme tout ces besoins sont inter­dé­pen­dants, on doit jouer les orches­tra­teurs du bon accom­pa­gne­ment par toutes les dis­ci­plines médi­cales et para­mé­di­cales qui accom­pagnent ma fille.

De nouveaux chamboulements

Si ma fille avait accès à un seul mot (à de rares excep­tions spo­ra­diques), elle n’é­tait pas tou­jours en pleine maî­trise de sa ver­ba­li­sa­tion, et il arri­vait sou­vent qu’elle soit prise dans une boucle de répé­ti­tion où le « oui » l’en­va­his­sait toutes les une ou deux secondes, par­fois pen­dant de nom­breuses heures, l’empêchant par­fois de dor­mir, sou­vent de déglu­tir. Par­fois même, je pense que cela entra­vait sa capa­ci­té à par­ti­ci­per aux échanges avec nous.

Avec la fin du prin­temps, ces boucles se sont rapi­de­ment arrê­tées, et avec elles, l’ac­cès facile à un « oui » por­teur de sens. Les gestes du repas (ouvrir la bouche, déglu­tir) sont aus­si deve­nus des gestes com­pli­qués. Et puisque la motri­ci­té géné­rale et la motri­ci­té fine n’é­taient plus acces­sible de manière inten­tion­nelle pour elle depuis de nom­breux mois, nous nous sommes retrou­vés avec une bar­rière à la com­mu­ni­ca­tion d’une toute nou­velle ampleur.

Alors on redouble d’as­tuce, on tente de mettre en place des petits outils, on explore des choses. Comme on connaît la per­sonne que l’on accom­pagne, on peut conti­nuer à lui pro­po­ser ce qu’elle aime, à ver­ba­li­ser pour elle les élé­ments qui consti­tuent son univers…

Mais avec la fatigue qui s’ins­talle, les cycles de som­meil très per­tur­bés, par­fois avec 20 heures de som­meil par jour entre­cou­pés de courts réveils, avec une motri­ci­té qui ne rend plus com­plè­te­ment rai­son­nable la toi­lette et les trans­ferts sans assis­tance maté­rielle plus impor­tante, le quo­ti­dien devient vrai­ment dif­fi­cile. Jus­qu’à pré­sent, on s’en empa­rait à bras le corps, à deux, ma fille et moi. En ce début d’é­té, j’a­vais sou­dain l’im­pres­sion de me retrou­ver sou­vent seul, ses inten­tions n’é­tant plus per­cep­tibles qu’à de fur­tifs moments dans la journée.

Une nouvelle manière de penser l’accompagnement

L’é­té avance, nous sommes à la mi-août, et je ne sais pas si cette nou­velle manière de vivre va s’ins­tal­ler comme une nor­ma­li­té pour nous. Mais il est cer­tain que j’a­vais besoin de trou­ver de nou­velles manières de réflé­chir et d’agir.

À la mi-juillet, j’ai décou­vert par hasard la notion de deuil blanc en regar­dant une vidéo d’A­thé­na Sol, une vul­ga­ri­sa­trice lin­guis­tique qui pré­sen­tait les mots entrés au dic­tion­naire Petit Robert en 2026 :

DEUIL BLANC : Deuil éprou­vé face aux mani­fes­ta­tions de la mala­die neu­ro­dé­gé­né­ra­tive d’un proche encore vivant, par dans le cas de de la mala­die d’Alzheimer.

Cette idée a direc­te­ment fait écho à notre vécu. Certes, je ne me sen­tais pas com­plè­te­ment dému­ni face à notre quo­ti­dien, j’a­vais construit mes outils, iden­ti­fier des manières de pen­ser notre vécu, ses besoins et les miens. Mais cette nou­velle notion don­nait à lire d’une nou­velle manière tout ce que j’a­vais pen­sé jus­qu’à pré­sent. Sans être une révo­lu­tion — après tout les notions sous-jacentes au deuil blanc sont déjà pré­sentes dans ma manière de pen­ser et d’a­gir — j’ai eu l’in­tui­tion que lire sur le sujet pour­rait m’ai­der à mieux pen­ser la suite.

Bibliographie sur le deuil blanc

Je me suis donc rap­pro­ché du centre de docu­men­ta­tion l’Équipe Relais Han­di­caps Rares AuRA pour savoir s’ils avaient des res­sources sur le sujet. J’a­vais déjà eu l’oc­ca­sion d’é­chan­ger avec eux, notam­ment sur la ques­tion de la nour­ri­ture mixée, et je trouve leur tra­vail vrai­ment formidable.

Une docu­men­ta­liste m’a tout de suite répon­du, et pro­po­sé de réa­li­ser une syn­thèse biblio­gra­phique sur la ques­tion, qui n’a­vait pas été jus­qu’à pré­sent un sujet d’in­té­rêt pour l’équipe.

Elle m’a fait par­ve­nir par la suite une syn­thèse biblio­gra­phique très riche, que j’ai envie de par­ta­ger avec vous. On y retrouve quelques défi­ni­tions connexes (deuil intui­tif, deuil ins­tru­men­tal), ain­si que dif­fé­rentes res­sources des­ti­nées aux aidants, aux pro­fes­sion­nels, ain­si que des réfé­rences de livre témoi­gnage, de pod­casts de vidéos, d’ar­ticles scien­ti­fiques, de témoi­gnages d’ai­dants ou encore de mémoires de fin d’é­tude. Les regards sont mul­tiples, parce qu’ils sont à la fois por­tés par des per­sonnes aidantes et par des per­sonnes pro­fes­sion­nelles, mais aus­si parce que plu­sieurs dis­ci­plines sont sol­li­ci­tées : psy­cho­lo­gie, socio­lo­gie, géria­trie, soins infir­miers, arts.

Voi­ci donc le docu­ment pro­duit par l’E­RHR AuRA sur le deuil blanc en juillet 2025. Un énorme mer­ci à eux, et bonne lec­ture à vous, inter­nautes de pas­sage sur ce blog :

Premières idées

Un des pre­miers points qui m’a mar­qué, c’est que le deuil blanc n’est pas une lec­ture que l’on peut appli­quer uni­que­ment au vécu du proche aidant. Elle peut aus­si être vue depuis le point de vue de la per­sonne qui perd ses capa­ci­tés cog­ni­tives et physiques. 

Sou­vent on m’a deman­dé si ma fille avait conscience de ce qu’elle tra­ver­sait. Ces der­niers mois, je l’ai vue pleu­rer, et n’ar­ri­vant pas à iden­ti­fier de cause phy­sique (dou­leur, incon­fort, …), j’en étais arri­vé à me dire qu’elle res­sen­tait une grande frus­tra­tion à perdre les outils de com­mu­ni­ca­tion ténus qui lui res­tait. Sans être cer­tain de cela, je peux tout de même pui­ser dans la lit­té­ra­ture sur le deuil blanc des pistes pour conti­nuer à l’accompagner.

Je trouve aus­si dans la lec­ture de la note biblio­gra­phique de l’E­RHR AuRA des idées qui font bien écho à mon quo­ti­dien per­son­nel : sen­ti­ment de soli­tude, besoin de conso­li­der des sou­ve­nirs com­muns, impor­tance d’ex­pri­mer son cha­grin, de trou­ver des res­sources dans l’art par exemple pour conti­nuer à avan­cer. Je com­mence tout juste à par­cou­rir ces res­sources, qui j’en suis convain­cu vont m’ai­der à avancer.

Bonne lec­ture à toi aus­si, inter­naute qui te sens concerné·e par la question !