L’audiodescription, ça consiste à décrire par des paroles des informations qui ne seraient pas accessibles autrement. On peut audiodécrire une illustration, un décors de théâtre, les actions d’un film, une situation dans la rue, les étals d’un magasin… Quand on côtoie un non-voyant, c’est un exercice quasi quotidien, que l’on fait en direct, au fil de l’eau. Mais il arrive aussi que l’on travaille un peu plus en amont pour audiodécrire une œuvre, et ainsi la rendre accessible au malvoyants et non voyants.
ADVOXPROJECT
Avec deux amies, nous avons commencé nos activités communes autour de l’accès à la culture en février 2016. Ces projets se sont vite cristallisés autour du collectif ADVOXPROJECT : AD pour audiodescription, vox pour la voix, et project parce que nous sommes en pleine construction. L’objectif du collectif est de faciliter l’accès aux propositions culturelles existantes aux personnes atteintes de cécité. Pour cela, nous travaillons sur plusieurs fronts :
- Sensibiliser les structures culturelles existantes (théâtres, festivals, opéra, etc.) à la question de la déficience visuelle, en les aidant à faciliter l’accès à ces propositions à un public déficient visuel. Cette action est partie du constat que fréquemment les offres étaient accessibles, mais que les accompagnements ou l’information aux déficients visuels était complètement ignorée par ces acteurs culturels.
- Sensibiliser les futurs professionnels du domaine à ces problématiques. L’année dernière, j’avais animé une conférence-débat sur la question. Cette année, avec un groupe d’étudiants, je prépare une série de tables rondes qui réunira je l’espère des professionnels de domaines culturels, des étudiants de ces domaines, et des publics intéressés.
- Proposer un agenda culturel réunissant les offres des acteurs culturels du bassin clermontois.
- Enfin, produire des outils de médiation, avec notamment de l’audiodescription.
L’année dernière, nous nous étions entraînés sur un court-métrage, en travaillant à son audiodescription. Cette année, on est passés à l’action, avec deux réalisations qui seront prochainement accessibles !
Audiodescription d’un carnet de voyage
La première réalisation que nous avons commencé à travailler sérieusement concerne un carnet de voyage qui a été présenté lors du Rendez-vous du carnet de voyage en novembre 2016. Pour l’instant, le premier quart est dans la boîte, et on travaille au mixage et à l’enregistrement de la suite. Le carnet de voyage s’intitule La vue par l’ouïe, comme Braille à Paris, et retrace la virée à Paris d’un groupe du comité clermontois de l’association Valentin Haüy. Outre une transcription audio du texte, le plus gros travail concerne l’audiodescription des illustrations (photos, dessins) qui parsèment le carnet.
Audiodescription d’un court-métrage
À Clermont-Ferrand, l’événement incontournable, c’est le festival international du court-métrage. Depuis trois ans maintenant, je profite de l’événement pour interviewer Bruno Darles et ses lycéens, qui sont à l’origine des séances en audiodescription. Cette année, avec les copines d’ADVOXPROJECT, on a donc décidé de réaliser nous aussi l’audiodescription d’un film. La date de soumission était fixée à la fin décembre, et le film audiodécrit est donc maintenant dans les mains des organisateurs du festival, alors je n’en dirai pas beaucoup plus, mais ce qu’on peut dire, c’est que c’est une film vraiment drôle, qui a été très apprécié l’année dernière.
Audiodécrire un film, c’est un véritable défi : on se place au service du réalisateur, pour permettre de comprendre au déficients visuels le film sans dénaturer ou trop révéler du film. Il faut trouver le juste équilibre, identifier les détails essentiels, puis trouver comment les décrire en quelques mots. Il faut aussi slalomer entre les éléments de la bande son originale : ne rien dire pendant les dialogues, préserver les sons essentiels à la compréhension, etc. Un véritable défi !
Quelques mots sur la technique
Quand on fait de la création sonore pour la radio, on utilise un échantillonnage numérique à 44,1 MHz. Cela veut dire que chaque seconde est découpée en 44 100 intervalles de temps. On peut comparer ça à des pixels sonores : l’ordinateur aura une unique description du son pour chacun de ces 44 100 intervalles. Or, étrangement, ce n’est pas la norme qui a été choisie pour le cinéma, où l’échantillonnage se fait à 48 000 intervalles par seconde. La première chose à penser quand on enregistre du son, c’est donc de se demander si on va travailler pour du son seul, ou pour du son avec de l’image. Et il faut régler son enregistreur en conséquence, ainsi que toute sa chaîne de traitement du son. Pour ma part, j’utilise le serveur de son jack, et il faut donc prendre soin de le régler convenablement.
L’autre point important, lorsque l’on produit un tel contenu où la voix est nue, ou superposée à la bande son d’un film professionnel, c’est de s’assurer de la qualité de ce que l’on produit. Pour ces audiodescriptions, j’ai donc travaillé avec un micro couplé à un pré-ampli FetHead, pour avoir le moins de bruit possible. Et puis j’ai travaillé l’égalisation de la voix avec un coup-bas, afin d’atténuer les défauts de la prise de son.
Ensuite, le calage des passages audiodécrits se fait avec une grande précision grâce à l’interface d’ardour qui permet d’importer une vidéo, et d’avoir ainsi une synchronisation entre image, bande son originale, et bande d’audiodescription. Le vignettage augmenté d’un timecode permet de visualiser avec une très grande précision le déroulement du temps.
Si ardour est très développé, il ne permet pas pour autant d’exporter une version finalisée de la vidéo avec la bande son complète. La solution pour laquelle j’ai opté consiste à exporter la session son d’ardour en wav cadencé à 48KHz, puis à utiliser ffmpeg (le couteau suisse du son sous GNU/Linux) afin de finaliser l’export.
Le film que l’on nous avait confié était encodé en mp4, avec une bande son en AAC. J’ai donc utilisé la ligne de commande suivante pour recopier de la vidéo originale le son et les sous-titres, et pour intégrer la bande son que j’avais générée (dans cet exemple, on a trois variables prédéfinies, qui sont les fichiers de la vidéo, de la piste son, et du fichier destination) :
ffmpeg -i "$VIDEO" -i "$AUDIO" -map 0:v -map 1:a -c:v copy -c:s copy -c:a libfdk_aac -b:a 256k -shortest "$OUT"
L’avantage de cette approche, c’est que la vidéo originale n’est pas du tout abîmée, on a juste remplacé la bande son originale par la bande son mélangée, sans avoir jamais quitté l’échantillonnage à 48KHz. On peut noter ici que le fichier généré est spécifique à l’utilisation qui va en être faite par les équipes du festival international du court-métrage : ils ne s’intéressent qu’à la version audiodécrite. Une autre solution consisterait à ajouter une piste son supplémentaire dans le mp4, afin de laisser le spectateur choisir la version de son choix (à la manière des choix VO vs VF).
Ce qui est certain, c’est qu’il me tarde de découvrir notre audiodescription sur un écran géant d’une salle de cinéma. Rendez-vous début février !
Édit : la clôture du festival du court-métrage, c’était hier soir. Très bel accueil de la séance en audiodescription, avec un public nombreux et enthousiaste. Nous avons également diffusé dans l’émission 100% créa sonore a bande son audiodécrite de Première séance, un peu compressée pour la radio. À réécouter dès maintenant en podcast !