Quand on fabrique du son pour la radio, et plus généralement pour que quelqu’un l’écoute, il existe plein de techniques, de méthodes, d’ingrédients que l’on peut utiliser. Depuis quelques années, je lis pas mal autour du son, je discute avec les copains et copines d’Utopie Sonore, du Cri de la girafe, de Radio Campus. On échange aussi avec les gens lors d’ateliers sur le son amplifié au théâtre, ou autour de la description du son.
De ces lectures et discussions, ainsi que de mes expérimentations personnelles publiées ou non, j’ai réuni dans le texte qui suit quelques idées, lignes de réflexion, qui peuvent aider à penser le son. Je ne prétend pas être exhaustif, et les quelques pistes proposées doivent plus être vues comme des éléments de réflexion sur sa pratique, ou comme des outils d’aide à l’analyse critique de pièces existantes.
Des mots pour décrire le son
Quand on manipule du son, la première chose à faire pour le comprendre, c’est de s’équiper d’un vocabulaire de description. En musique et en physique, on a du vocabulaire pour décrire tout cela. Je vous renvoie à l’article que j’avais écrit sur les mathématiques et le son, qui raconte ce qu’est le son de ces points de vue : hauteur/fréquence, intensité, rythme, battements par minutes, etc.
En allant un peu plus loin, on peut s’intéresser à des travaux comme celui de Pierre Schaeffer, explorateur théoricien d’un vocabulaire de description du son : attaque/corps/chute, mais aussi texture, masse, dynamique, …
Ces outils sont utiles pour identifier des sons similaires, repérer ceux qui se fondront facilement l’un dans l’autre, ou au contraire ceux qui ressortiront efficacement quand on les mélangera. Un son aigu, très lisse, composé d’une masse principalement distribuée le long des harmoniques de la fondamentale (une note cristalline) ressortira par exemple très efficacement au milieu d’un son de masse importante, plutôt grave et rugueux (le son d’un moteur de camion).
Objets sonores
Pierre Schaeffer a construit son travail à partir de la définition d’objet sonore, ou entité sonore détachée de son contexte. Quand on fabrique des pièces à écouter, on assemble souvent plusieurs fragments sonores, que l’on superpose, juxtapose, mélange. Pour l’auditeur, peut importe la recette. Quand il va écouter la pièce, il pourra parfois identifier distinctement plusieurs objets sonores qui se superposent, parfois au contraire il ne percevra qu’une seule continuité de son.
Composer une pièce consiste donc à jouer avec ces différents objets sonores pour qu’ils se répondent, se mélangent, se détachent, se combinent… Dans la suite, on évoque quelques manières de penser ces objets sonore, de les fabriquer, et de les assembler, afin de construire une pièce complète et cohérente.
Voix, musiques, ambiances, bruits
Une première manière de catégoriser ces objets sonores, c’est de les distinguer suivant ce qu’ils portent.
En premier lieu, notre oreille est extrêmement habituée à percevoir le son d’une voix humaine parmi d’autres sons. Nous sommes aussi très sensibles aux modifications de ces sons : équalisation, glissement de fréquences et autres artifices seront vite détectés, et pourront constituer une coloration de la voix.
Il faut bien sûr distinguer dans le son d’une voix le propos qu’elle porte de la matière sonore qu’elle compose en elle-même. Parfois, on pourra choisir des sons de voix sans se préoccuper de leur sens, voire même en les masquant. D’autres fois, on travaillera sur le propos seul, et sa texture sera ignorée, laissée brute, sans recherche d’esthétique sophistiquée. Si l’on travaille à l’enregistrement, la question du dispositif microphone est également un point important.
Une des premières choses que l’on ajoute ensuite en radio après la voix, c’est de la musique. Du son conçu pour être joli à l’oreille, harmonieux, rythmiquement élaboré. Il assure une certaine stabilité à l’auditeur, qui peut s’appuyer sur sa culture d’auditeur pour écouter, ressentir sans devoir trop analyser. C’est un outil très facile pour rehausser les ressentis de l’auditeur, augmenter un côté dramatique, accentuer un propos amusant, ou au contraire se placer en contrepoint. Mais c’est aussi quelque chose de compliqué à utiliser, car l’auditeur peut avoir ses propres souvenirs liés à un morceau, ce qui nuira à sa réception. C’est aussi un son très artificiel, qui peut éloigner l’auditeur d’une immersion dans un décor sonore, lui rappelant qu’il écoute un son composé. On peut aussi s’interroger sur les questions de droits d’auteur, ou sur les problématiques de captation… Les compositions récentes sont aussi énormément travaillées, et face à un son naturel paraître trop écrasantes, trop artificielles…
Quand on capte les sons en extérieur, on est vite tenté d’utiliser une prise d’ambiance pour compléter un son, placer un décor. On peut parler de paysage sonore. C’est un ingrédient classique, mais difficile à manipuler, car elle nécessite d’être très soigneux dans sa captation pour ne pas souffrir de gros défauts techniques. C’est aussi quelque chose avec lequel tous les auditeurs ne sont pas familiers, et qui teinte la pièce d’une dimension documentaire, dont l’esthétique est très puissante. On travaille souvent ici avec des périodes de silence sur les autres éléments de la pièce, afin de laisser le décor s’installer.
Enfin, on complète ces éléments par des bruits, figuratifs ou non, qui viendront ponctuer et rythmer l’ensemble, soit en illustrant des détails d’un paysage sonore, à la manière d’une loupe auditive, soit en marquant une transition entre plusieurs moments de la pièce.
D’où vient le son
Il existe principalement deux sources de son : les sons captés par un micro, que l’on pourra dire sons du réel, et les sons fabriqués, que l’on pourra appeler sons de synthèse. Dans les deux cas, il existe une grande diversité de sons.
Les sons du réel peuvent être issus d’un environnement naturel, captés dans la ville, issus d’un microphone à contact percevant les moindres vibrations d’un objet, ou encore captées grâce à un micro très directionnel, comme une loupe sur un son en particulier… On pourra aller lire un article précédemment écrit sur la manière d’utiliser un enregistreur pour repérer quelques éléments clés de cette question de captation.
Les sons de synthèse peuvent être produits par un dispositif électronique, informatique, voire mécanique. Cette synthèse peut s’appuyer sur des oscillateurs, sur des générateurs aléatoires, être conçu pour être agréable, ou désagréable, etc.
Au moment de la fabrication, ces deux familles de sources (du réel vs de synthèse) sont généralement facilement identifiables, sauf bien sûr si on s’amuse à enregistrer le son d’une sonnette électrique avec un micro. À l’oreille, on arrive aussi souvent à distinguer les deux familles. Mais quand on commence à les modifier avec des plugins, des effets, des distorsions, on peut vite perdre cette séparation. On obtient un continuum, depuis les sons très réels issus du quotidien, figuratifs et explicites de leurs sources, jusqu’aux sons très abstraits, qui semblent terriblement synthétiques.
Il est cependant difficile de mélanger simplement des sons des deux extrêmes sans que l’auditeur ressente tout de suite une impression de collage brutal. Notre oreille capte deux canaux, qui vivent leur vie séparée. Deux objets sonores distincts. En allant plus loin dans ce continuum, on peut bien sûr percevoir plus de deux canaux, si les caractéristiques de chacun d’eux est suffisamment différente.
Ce qui est intéressant, c’est que l’on peut jouer de cet assemblage, en faisant se répondre les sons, voire en choisissant des sons dont les fréquences, le grain sont tellement semblables que l’on perd soudain l’auditeur en faisant fusionner ces sources. C’est à la fois un défi technique, et un guide intéressant de la composition : travailler à faire vivre ces sons au delà d’une juxtaposition brutale.
Ce travail de fusion peut être réalisé en amont, pour fabriquer un objet sonore unique, ou au contraire de manière dynamique, pour faire évoluer la pièce.
Structurer une pièce
L’un des aspects important est bien sûr la structure globale de la pièce. La penser en actes, en parties, en éléments ayant chacun une couleur, une intention, une dominante… Ici chacun peut travailler à sa manière, en s’inspirant de pratiques existantes, issues de la composition musicale, de l’art de la narration, de la construction de documentaires, etc.
On peut par exemple faire se répondre deux types de passages, les uns très documentaires, les autres plus abstraits. On peut au contraire mélanger ces deux aspects pour former un ensemble continu, ou le propos, la couleur narrative sera plutôt le facteur déterminant.
Chaque projet a sa propre trame, son propre mécanisme d’écriture sonore. Dans les projets sur lesquels j’ai travaillé, je peux citer Léthargiques Substances Disparates, où la pièce d’une heure était découpée en tableaux aux intentions préalablement définies, un projet de création sonore collective, où les tableaux et les transitions avaient été pensées avant leur réalisation, ou les artichauts sonores, où on a cherché à mêler des formes différentes. Dans Interface, la musique et les ambiances jouent un rôle important dans la tenue du rythme.
Un point important consiste à soigner les transitions. On peut utiliser des silences, des sons percussifs et très nets, ou au contraire travailler sur une transition douce. On peut exploiter la variation de registre de contenu (voix, musique, ambiance, bruits) pour faciliter la lecture du changement de tableaux. En radio, on utilise par exemple souvent le principe de virgule musicale quand on construit un conducteur.
Une habitude prise avec les ami·e·s du cri de la girafe a consisté à être très soigneux sur les premiers moments des pièces produites, autant sur le fond que sur la forme, afin d’accrocher l’auditeur, et ainsi l’inviter à prolonger son écoute. C’est une pratique qui semble essentielle, à l’heure où de plus en plus d’écoutes se font en podcast.
Travailler par plans
Une autre manière de réfléchir les éléments sonores d’une pièce consiste à les penser en terme de plans : le premier plan, où l’écoute est pleinement concentrée, le second plan, où des détails viennent compléter les choses, et l’arrière-plan, qui dresse le décor. On pourra jouer sur le volume, sur la spatialisation, sur des effets de réverbération par exemple, pour ouvrir le son depuis le micro jusqu’au lointain.
Une manière de composer simplement une scène consiste à placer les voix au premier plan, les bruits des objets manipulés par les protagonistes au second plan, et l’ambiance de la ville en arrière-plan, pour placer une discussion au balcon d’un appartement marseillais par exemple.
Cette construction par plans peut bien sûr évoluer au fil d’une scène, par exemple en faisant s’approcher progressivement une bande musicale de l’auditeur : d’abord étouffée, captée en condition naturelle pendant une fête entre amis, elle est progressivement remplacée par la version propre, directement prise sur le disque de l’artiste. C’est un effet que nous avons par exemple travaillé dans le générique de Faratanin Fraternité.
De l’importance des niveaux de détail
C’est en étudiant la manière dont travaillent les infographistes que j’ai compris un élément important de la composition sonore. Dans une série de vidéos et d’articles traitant de la manière de bien modéliser des objets 3D, Jonathan Lampel rappelle l’importance d’intégrer dans une composition des éléments à chaque échelle : des détails de grande taille pour structurer l’ensemble, des éléments de petite taille pour donner à la création un caractère dense, complet, réaliste, et des détails à l’échelle intermédiaire pour rendre le tout naturel.
C’est en suivant ce chemin de composition que l’on peut penser une création, en la rendant équilibrée suivant différents aspects : la longueur des objets sonores utilisés (des objets sonores qui s’étirent sur la longueur, aux éléments quasi instantanés, en passant par les objets de quelques secondes de durée), la hauteur des sons (des sons graves, médium et aigus), leur rugosité (lisses, rugueux, intermédiaires), leur présence spatiale (des sons qui occupent tout l’espace avec une réverbération intense, des sons très précis comme pris au micro-canon), etc.
En choisissant de ne pas inclure des objets sonores de toutes les tailles sur ces différentes échelles, on risque de créer un déséquilibre. Ce déséquilibre peut être un choix artistique, mais il est important d’en avoir conscience.
Pour aller plus loin
Parmi les livres qui traitent de la composition sonore dans une voie un peu proche de ce qui est présenté ici, on peut penser à Pour une écriture du son, de Daniel Deshays, ou aux livres de Michel Chion autour de l’écriture du son pour le théâtre ou le cinéma.
Sur un sujet proche, et en même temps éloigné, on peut écouter Poétiques de la radio, qui questionne ce qu’est la pratique de la radio.