À l’école, j’ai toujours été un réfractaire à l’orthographe et à la grammaire, le français était ma hantise. Puis en commençant à écrire à l’université, pour des associations, pour le web, j’ai discipliné ma pratique. Est arrivé un moment où je me suis passionné pour la typographie, et par extension pour l’orthotypographie, les réflexions sur l’écriture inclusive, avec le point médian… J’étais quasiment devenu psychorigide, au point d’être gêné à la lecture de textes mal typographiés, ou mal orthographiés. J’ai aimé découvrir le travail de Jean Véronis en traitement automatique du langage, qui nous éclairait sur les usages politiques de la langue. Un peu plus tard, j’ai commencé à suivre la chaîne Linguisticae, dont le travail de vulgarisation en linguistique me semblait vraiment intéressant, et puis l’exploration des variations de langue par les animateurs du blog le français de nos régions.
À l’occasion des discussions sur l’écriture inclusive, j’ai aussi découvert comment le mot autrice avait été supprimé de l’usage par des masculinisateurs de la langue, de quoi douter de la séparation entre politique et usages de la langue.
Et puis récemment, j’ai commencé à me sentir mal à l’aise face à cette injonction à respecter ces règles rabâchées à l’école, dont la maîtrise était aussi très souvent le signe d’appartenance à une classe sociale.
J’avais très envie de lire sur toutes ces questions. C’est donc avec plaisir que j’ai découvert sur le blog langue sauce piquante le récent livre de Maria Candea et Laélia Véron, Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique. Ces deux docteures en linguistique et littérature française proposent en onze chapitres très faciles à lire d’explorer ce lien entre politique et langue, qui guide aujourd’hui la majeure partie des injonctions publiques à préserver des pratiques pas si justifiées que ça.
Leur propos est alimenté par de nombreux exemples, par des références à l’actualité, enrichi de focus très précis, et propose de nombreuses références pour poursuivre la lecture… Elles citent aussi des programmes comme Linguisticae, je n’étais pas dépaysé.
Au fil des chapitres, les autrices définissent ce qu’est une langue, combien c’est une pratique mouvante, diverse, multiple. Elles replacent le rôle de l’Académie Française, comme outil politique, racontent comment le français a été parfois un outil du colonialisme, souvent un moyen de consolider la séparation des classes, en offrant aux dominants un outil pour verrouiller l’accès à leurs sphères aux non initiés.
J’ai lu avec grand intérêt l’histoire de l’utilisation de la langue française dans les relations avec les colonies, puis avec les pays issus de ces colonies, après leurs « indépendances ».
La question de la grammaire scolaire est aussi abordée, comme un outil pour imposer une manière de pratiquer la langue, qui n’est ni logique par rapport à l’usage, ni en adéquation avec les travaux actuels des linguistes. Avec elles, on en vient à se questionner sur le réel intérêt à ne pas pratiquer une réforme en profondeur de l’orthographe, qui permettrait de réduire énormément le nombre d’heures consacrées à l’apprentissage du français écrit, pour dégager du temps sur des questions plus fondamentales de l’indépendance intellectuelle : techniques de rédaction, enseignement de l’éloquence à l’écrit et à l’oral, etc.
Enfin, toute une partie évoque les pratiques liées au numérique, avec notamment une série de réflexions qui replacent l’usage de l’écrit comme servant à retranscrire l’oral. La massification de l’écrit, avec des pratiques hybrides, permet d’effriter la frontière entre les deux pratiques, fluidifiant un peu plus cet écrit pendant longtemps figé dans une pratique élitiste.
La conclusion du livre commence par ce paragraphe, qui je trouve résume assez bien le livre :
Un livre à faire tourner autour de soi !